Comunità di S.Egidio


01/02/2001
LE PRIX FELIX HOUPHOUET-BOIGNY POUR LA RECHERCHE DE LA PAIX 
A ETE REMIS A LA COMMUNAUTE DE SANT�EGIDIO
Discours de Jean Foyer

Excellences, 
Mesdames, 
Messieurs,

Le docteur Henry Kissinger, pr�sident du Jury du Prix Houphou�t-Boigny pour la Recherche de la Paix avait pr�vu d'�tre ce soir parmi nous � fin de remettre lui-m�me le prix � la Communaut� Sant'Egidio. Des obligations imp�rieuses le retiennent aujourd'hui sur d'autres parties du continent europ�en. Il m'a laiss� le soin, en tant que son vice-pr�sident -et ancien collaborateur du pr�sident Houphou�t-Boigny-, d'exposer les motifs de la d�cision que le Jury a prise en attribuant le Prix 1999 � la Communaut� Sant'Egidio. Il m'a laiss� le soin de vous pr�senter ses excuses et de vous dire tous ses regrets d'�tre absent ce soir.

L'Histoire que je veux r�sumer commence en 1968. A cette �poque, une partie de la jeunesse du monde �tait saisie d'une fr�n�sie de changement qui se traduisait surtout, dans la majorit� de cas, par la contestation et qui m�me conduisit certains - j'emprunte le terme au professeur Riccardi - au d�lire et aux hallucinations de la r�volution terroriste. A' Rome, quelques lyc�ens se r�unirent au Trastevere. Ils n'�taient pas moins �pris du changement que l'�taient leurs contemporains. Ils pens�rent qu'avant de vouloir changer le monde, il convenait de se changer soi-m�me. Dans le sillage du Concile Vatican II, r�aliser le christianisme leur parut constituer le plus authentique des changements. Ils convinrent de se r�unir le soir pour prier ensemble. Ils s'assign�rent pour mission l'�vang�lisation, au sens de nouvelle �vang�lisation, telle que l'appellera plus tard le Pape Jean-Paul II, et comme mission encore et surtout le service aux pauvres. Ainsi naquit une communaut� qui prit le nom du titulaire de l'�glise dans laquelle ses membres s'assemblaient. Elle fut la Communaut� Sant'Egidio.

Constitu�e sous la forme d'une association � but non lucratif de droit italien, reconnue par le Saint-Si�ge comme une association de personnes la�ques de confession catholique, la Communaut� Sant'Egidio n'est pas une congr�gation religieuse. Elle n'est soumise � aucune autorit� eccl�siastique hi�rarchique, ses membres ne prononcent pas des v�ux, ils continuent � mener une existence familiale et professionnelle, tout en accomplissant en volontaires les missions de la Communaut� et en y participant de leurs deniers. La Communaut� n'a pas voulu davantage - et quelle sagesse a-t-elle montr� ainsi - s'inf�oder aux partis politiques. Elle a toujours mis l'accent sur l'inspiration religieuse qui seule caract�rise son analyse des situations et des probl�mes qu'elle rencontre. Dans son premier �ge, la Communaut� s'�tait pench�e sur les enfants subissant de graves handicaps sociaux, sur des baraques - nous dirions en fran�ais des bidonvilles - de la p�riph�rie romaine, et l� depuis lors elle a bien essaim�. Elle est pr�sente dans plus de trente pays, elle est forte de vingt mille membres, ses services locaux �tendent leur sollicitude aux enfants de rue et aux personnes �g�es, aux sans abri et aux d�tenus, aux malades de sida et aux gitans, aux handicap�s physiques et mentaux, aux immigr�s et aux r�fugi�s.

Le caract�re fondamental de cette action est l'esprit dans lequel elle est conduite. La Communaut� n'a jamais voulu �tre un service des pauvres uniquement fonctionnaliste et d'assistante, elle n'a jamais voulu �tre seulement un pr�stateur de services et un fournisseur d'aides. Par ce service et par cet aide c'est une amiti� qu'elle exprime et qu'elle s'applique � tisser. Ce terme d'amiti� me semble bien �tre pour elle la traduction moderne du terme grec "agape", cette "agape" qu'exulte la Premi�re Lettre aux Corinthiens.

Les actions admirables � tant d'�gards, soutenues par la Communaut� Sant'Egidio, tant qu'elle demeurait locale, n'eussent pas compt� au nombre de celles que le Prix Houphou�t-Boigny a pour mission de reconna�tre. Mais dans les derniers temps les actions de Sant'Egidio se sont �lev�es � la dimension mondiale. D�j� elle avait adh�r� -avec quelle conviction!- et �uvr� au dialogue interreligieux. Elle a �t� plus tard appel�e � intervenir en vue du r�tablissement de la paix, en un temps o� - l'a remarqu� son pr�sident - la fin des empires ou du moins la fin de l'un de deux grands a -h�las- d�mocratis� la guerre. En s'engageant dans des initiatives de paix, de r�tablissement de la paix, la Communaut� ne s'�loignait pas de sa vocation premi�re. C'est la m�me culture de r�conciliation, de paix et de solidarit�. Comme l'a �crit encore son pr�sident, "la m�me fid�lit� aux pauvres pouvait conduire � s'occuper des peuples de pauvres dans leur totalit�, et � construire en artisans la fin de la guerre, m�re de toutes les pauvret�s. En ce sens, il n'y a pas un Sant'Egidio diplomatique".

Au Mozambique, la m�diation des organisations internationales et des �tats avait �t� impuissante � faire cesser une guerre civile qui durait depuis quinze ans, qui avait fait un million de morts et deux millions d'exil�s. Apr�s deux ann�es d'efforts la paix s'est faite - et une paix qui a �t� durable - au si�ge de la Communaut� � Rome, dans un ancien couvent.

D'autres actions ont �t� engag�es au cours des ans. Toutes ne sont pas achev�es. La Communaut� a pr�t� ses bons offices en Albanie et au Burundi, au Liban et en Somalie, au Soudan et au Guatemala, au S�n�gal et en Guin�e-Bissau, et m�me en Alg�rie et au Kosovo. Sant'Egidio a �uvr� � la pacification du Tiers Monde le plus pauvre. Son travail dans l'ordre international a pris �galement la forme de nombreux projets d'aide humanitaire et d'aide au d�veloppement, surtout dans le domaine de la sant� et de l'�ducation.

Ses premi�res interventions en vue du r�tablissement de la paix furent accueillies avec scepticisme par le monde ext�rieur. Les membres de la Communaut� furent consid�r�s comme des utopistes et des r�veurs et ses actions qualifi�es "diplomatie d'amateurs". Et bien, l'utopie a r�ussi et ceux qui ont parl� d'amateurs ne croyaient pas si bien dire, si l'on prend ce terme non point en l'opposant � professionnel comme le font les sportifs, mais en le prenant au sens �tymologique, au sens du latin amator. La diplomatie de Sant'Egidio n'est d�termin�e en effet ni par l'int�r�t, ni par la gloriole, mais par l'amour de la paix, l'amour des pauvres et l'amour du prochain. Et c'est pour cela qu'elle r�ussit. Ses r�sultats sont le fruit d'une patience qui ne se d�courage pas. La prudence lui commande de ne point se contenter de la signature d'accords, mais de mettre en place les conditions, les proc�dures, les institutions n�cessaires � l'ex�cution de cet accord et au respect des obligations qu'ils stipulent. La Communaut� Sant'Egidio a d�montr� qu'on ne r�concilie pas des bellig�rants sur la place publique et sous les projecteurs des m�dias, mais qu'on le fait dans la discr�tion.

Sant'Egidio, � la diff�rence des �tats, ne dispose pas de porte-avions. A la diff�rence des organisations internationales, elle ne peut menacer d'embargo ou de blocus. Sa logistique est dans la pri�re, et ses forces, si j'ose employer ce terme, sont la conviction et la raison mises en �uvre dans la sympathie. La force de l'approche humaine, la capacit� � donner confiance.

Sant'Egidio ne cherche ni publicit�s ni honneurs. Elle se contente m�me souvent d'un titre modeste -un n�ologisme qu'elle a fabriqu�, celui de "facilitateur"-, alors que son intervention r�nove la proc�dure de m�diation. Sant'Egidio dans le monde de ce temps, est un extraordinaire exemple. La Communaut� montre ce que peuvent la conviction et la foi religieuse dont certains voudraient effacer jusqu'au souvenir dans l'histoire de la vieille Europe. C'est en cela que r�side le ressort de son action et la condition de son succ�s. Il �tait donc bien juste de faire de la Communaut� Sant'Egidio la tributaire du Prix Houphou�t-Boigny 1999. En proposant cette Communaut� � l'Unesco, le Jury avait le sentiment de r�pondre exactement aux v�ux de l'illustre homme d'�tat africain, fondateur du prix. Le Jury a voulu reconna�tre et donner un exemple � m�diter et � imiter - l'action de la Communaut� Sant'Egidio -, beaucoup plus que lui attribuer une r�compense, car nous pensons que la Communaut� n'esp�re et n'attend aucune r�compense en ce monde. Une autre plus haute lui est d�j� promise, dans le Sermon sur la Montagne : "Heureux les artisans de paix, car ils seront appel�s fils de Dieu".