Comunità di S.Egidio


 

2 juillet 2000

Les diplomates �clair�s de Sant'Egidio
Enracin�e � Rome, bienfaitrice des pauvres, oeuvrant sous l'oeil bienveillant du Vatican,
la communaut� religieuse de Sant'Egidio est surtout connue pour son action diplomatique.
Des conflits africains aux n�gociations sur la paix en Alg�rie ou au Kosovo,
ses ambassadeurs sans titre ont acquis une aura internationale

 

Sur une place du Trastevere o� stationne en permanence une voiture de police, la porte d'un vieux monast�re s'entrouvre. La communaut� de Sant'Egidio occupe ce lieu abandonn� par les carm�lites, qui n'appr�ciaient pas les plaisanteries grivoises des prolos qui envahissaient le quartier. � Notre si�ge b�n�ficie d'une protection depuis la r�union organis�e ici et par nous, en 1995, de toutes les parties prenantes au conflit alg�rien, y compris islamistes. D'avoir fait appel au FIS ne nous a pas �t� pardonn� ! �, pr�cise Mario Giro. A quarante-deux ans, jovialit� tout en rondeurs, c'est un pilier de cette association sans but lucratif, catholique et la�que. Fond�e en 1968 � Rome, elle compte 30 000 membres, principalement en Europe et en Afrique. Des militants de Dieu, d�fricheurs de paix, et parfois r�veurs d'utopie.

Comme tous ses coll�gues, Mario Giro exerce un m�tier r�mun�r� : � C'est la r�gle, pour �viter la d�rive du permanent et garder les pieds sur terre. � Lui travaille aux relations ext�rieures de la CISL (syndicat proche de la CFDT). Mari� � une femme rencontr�e dans la communaut�, sans enfants, Mario a commenc� son activit� de m�diateur en 1990 dans le conflit mozambicain entre le pouvoir et la r�bellion. Il a m�me fait un voyage � Maputo avec un communiste romain (devenu le secr�taire g�n�ral du PDS), Walter Veltroni, dont les contacts avec le Frelimo, parti gouvernemental marxiste, facilitaient la n�gociation. � Au pays de Peppone et de don Camillo �... Apr�s vingt-sept mois de tractations discr�tes, le cessez-le-feu est enfin sign�. � C'est ce succ�s qui a propuls� Sant'Egidio sur la sc�ne internationale �, se souvient Mario, qui, dans la foul�e, s'est lanc� dans le dossier alg�rien. � Nous avons �chou� � ramener la paix. Nous avons essuy� le feu des �radicateurs et des int�gristes. Mais Bouteflika lui-m�me, quatre ans plus tard, a �voqu� l'utilit� de la plate-forme que nous avions alors propos�e �, raconte Mario Giro sans m�lancolie, assis sur un banc du jardin int�rieur o� se dressent, parmi les fleurs odorantes, deux immenses bananiers. � Cela fait plaisir � nos visiteurs africains. �

Des rebelles hutus et un groupe de Tutsis sont venus du Burundi. Padre Matteo Zuppi, un des quinze pr�tres de la communaut�, vicaire de la paroisse de Santa Maria in Trastevere, s'envolera bient�t pour l'Afrique du Sud, o� il rencontrera Nelson Mandela, � facilitateur � du conflit burundais depuis les accords d'Arusha. Dans ce m�me trait�, la communaut� Sant'Egidio avait �t� d�sign�e pour pr�sider la � commission de cessez-le-feu �. Comment est-elle arriv�e � cette reconnaissance internationale ? � Nous n'intervenons que si nous sommes sollicit�s. � Ici, le style est libre des obligations de la diplomatie, celles d'obtenir des r�sultats, d'avoir � rendre des comptes ou � se prot�ger de voisins pas toujours neutres. � Nous voulons aider � la paix entre les peuples. Il y a des peuples de pauvres, comme il y a des gens pauvres. Et la guerre est source de pauvret� �, ajoute Don Matteo. La lutte contre cette derni�re a en effet �t� et reste le premier objectif de Sant'Egidio.

Par cette lutte, comme un parcours initiatique, on entre dans la communaut�, aujourd'hui comme hier, sans carte d'adh�sion. Ainsi fit Mario Giro. Fils d'un fonctionnaire europ�en et catholique, rentr� � Rome en 1973, il rencontre au coll�ge les pionniers de Sant'Egidio. � Un jour ils m'ont propos� de m'emmener � Primavalle, dans les baracche, les bidonvilles de la p�riph�rie si d�crite par Pasolini. Refusant l'injustice � l'�cole, ils aidaient les enfants d�favoris�s � faire leurs devoirs .� Mario fait toujours du soutien post-scolaire. Pour comprendre ces crois�s qui se battent, comme ils disent, � en brandissant d'une main la Bible et de l'autre le journal �, il faut revenir aux premi�res heures de Sant'Egidio, en 1968...

Une poign�e d'�l�ves du brillant coll�ge Virgile, tous fils de la bonne bourgeoisie romaine, se retrouvent autour d'Andrea Riccardi, dix-sept ans, dont le p�re �tait directeur de banque � Bari, dans les Pouilles, et non pratiquant. De la mouvance extraparlementaire d'extr�me gauche, comme Lotta continua, Andrea et les siens partagent le refus de l'injustice sociale. � Mais pas l'id�ologie politique �, se souvient Andrea . � Nous nous demandions quoi faire pour aider les pauvres, dans l'esprit oecum�nique du concile Vatican II, qui venait de se tenir. Nous nous sommes mis � lire l'Evangile, � vouloir le pratiquer dans notre vie de tous les jours �, rappelle Andrea Riccardi, aujourd'hui professeur d'histoire contemporaine � Rome-III.

Bient�t, ils sont quelques dizaines � fr�quenter chaque jour les banlieues de Rome. � Tout naturellement, nous avions li� contact avec les parents, des m�res seules, des vieux. Ils sont devenus notre famille �, raconte Mario Marazziti, directeur du programme � Rai Jubile � lanc� par la t�l�vision publique pour cette ann�e de Jubil�. Peppone et don Camillo encore une fois au coude-�-coude ! On a propos� � Mario, le fid�le des premi�res heures, de se pr�senter � la pr�sidence de la r�gion Latium. � Nous avons refus� ; pas question d'entrer en politique. �

 

Mais quand il s'agit d'innover en faveur des pauvres, l'audace reste de mise. Leonardo Emberti, �pid�miologiste et chercheur, part en juin pour le Mozambique ouvrir un service avec 500 emplois � la clef, o� les m�res s�ropositives et enceintes vont b�n�ficier d'une trith�rapie pour que leurs futurs enfants ne soient pas contamin�s. � Faute de pouvoir administrer ces soins tr�s co�teux, toute une g�n�ration est condamn�e en Afrique. Nous essayons de stopper la propagation pour celle qui arrive. �

Certains adversaires accusent la communaut� d'�tre ferm�e comme une secte. Andrea Riccardi, pr�sident depuis le d�but, en serait le gourou. C�libataire, il imposerait ce statut � ses ouailles. Les enfants eux-m�mes seraient endoctrin�s, etc. Cela fait sourire Hilde, la jeune responsable de Sant'Egidio � Anvers, o� elle a fond� la communaut�. � Personne ne m'a demand� d'essaimer en Belgique. L'id�e m'est venue apr�s un voyage � Rome et la d�couverte par hasard d'Andrea et des siens. Ils peuvent passer au cocktail chic d'une ambassade et l'heure suivante, en banlieue, laver les pieds de vieux handicap�s. � Quant aux enfants, ils ont des s�ances de cat�chisme s'ils le veulent. � Ils n'accompagnent pas leurs parents. Quand ils seront adultes, ils choisiront. �

La structure joue, elle aussi, la transparence. Un conseil sup�rieur d'une trentaine de membres, �lus pour quatre ans, se r�unit une ou deux fois par mois. A lui �galement d'accepter ou non le choix de huit vice-pr�sidents propos� par le pr�sident. Hilde vient d'entrer au conseil, Daniella est vice-pr�sidente. Le budget de Sant'Egidio est modeste : quelque 20 millions de francs par an. Pour des � coups �, elle fait appel � des sponsors, forte de sa comp�tence en communication.

D'autres soup�onnent quelque syncr�tisme dans le style des pri�res, qui m�le plusieurs rites religieux. � Prier ensemble s'est impos� � nous, d�s notre premi�re plong�e dans les Saintes Ecritures. Peu � peu, tout naturellement, s'est construit ce rite que nous pratiquons chaque soir pendant une demi-heure. Nous avons choisi des psaumes que nous avons mis en musique. Comme nous aimions le beau, nous nous sommes inspir�s du rite byzantin, le plus nourri de spiritualit�, auquel se sont ajout�s des chants africains. �

En 1973, le groupe a d�couvert une petite �glise vide, celle de Sant'Egidio (saint Gilles). � L'Etat italien, qui en est propri�taire, nous l'a pr�t�e. Nous avons d'abord squatt� le monast�re attenant. Maintenant, nous payons un loyer. � Mais d�sormais, � 20 h 30, c'est � Santa Maria in Trastevere, situ�e � 70 m�tres de l�, qu'on se retrouve pour la pri�re du soir : � Elle est beaucoup plus vaste. � La communaut� loue d'autres lieux dans le quartier, la demeure pour personnes �g�es, la maison familiale o� huit enfants, apr�s d�cision d'un juge, vivent en famille jusqu'� ce qu'ils soient sortis d'affaire. Travaillant en r�seau avec d'autres organisations caritatives, � la Mensa elle distribue des v�tements et douches aux SDF, et sert 2 000 repas trois fois par semaine, par tables de quatre, � comme dans un vrai restaurant �. Au centre Saint-Fran�ois-d'Assise, Daniella, assistante sociale � la r�gion, s'occupe depuis 1986 de l'accueil des sans-papiers, aide juridique et consultation m�dicale. Sant'Egidio d�livre une carte, celle de � genti di Pace � - � gens de paix � -, qui donne acc�s � ses divers services, dont la domiciliation. � Quand un sans-papiers se fait arr�ter par des policiers, il montre cette carte, avec sa photo. Parfois la police choisit de nous t�l�phoner, plut�t que d'expulser. �

Pour Andrea Riccardi , � le paradoxe de notre exp�rience est qu'elle est tr�s romaine et, en m�me temps, c'est un autre visage de Rome, celui de terrasse du monde �. L'homme croit avant tout � � l'unit� m�diterran�enne, dans l'Union europ�enne. Les peuples juifs, chr�tiens et musulmans y ont v�cu les m�mes probl�mes. Je ne dramatise pas les conflits avec les musulmans. Regardez : entre la France et l'Allemagne, un demi-si�cle a suffi pour surmonter la guerre. M�me s'il existe dans l'islam un fondamentalisme, le vrai probl�me est celui de la stabilit� de la d�mocratie dans le Maghreb �. Ces jours-ci, Andrea Riccardi retrouve un de ses amis, Don Jesus Delgado, ancien secr�taire de Mgr Oscar Romero, assassin� au Salvador en 1980, fondateur de la communaut� dans son pays.

A Sant'Egidio, les rendez-vous pour la paix se succ�dent. En mai, on a vu sortir du monast�re Cheikh Chamsedin, le chef de la communaut� chiite libanaise, flanqu� d'un repr�sentant druze et d'un responsable sunnite, venus d�battre du futur statut de J�rusalem. Plus tard, c'est l'ambassadeur de Belgique aupr�s du Saint-Si�ge qui arrivait : la guerre civile dans l'ex-Za�re reste pr�occupante. Ce jour-l�, le ballet des v�hicules officiels ne laissait aucun doute sur l'activit� diplomatique de la communaut�.

 

Le gouvernement italien met parfois sa logistique au service de Sant'Egidio, comme au Kosovo. Hubert V�drine est venu en visite. Madeleine Albright a fait le d�placement en 1997, pour d�battre de l'Alg�rie et aussi des Balkans, o� Sant'Egidio a multipli� les initiatives. A la communaut� revient d'avoir fait venir Ibrahim Rugova, enferm� � Pristina, jusqu'� Rome, apr�s une n�gociation avec Belgrade. Sant'Egidio s'est publiquement oppos�e � l'intervention de l'OTAN . � N�gocier, ce n'est pas dire : �C'est �a, ou les bombes�. Rugova est le symbole qu'il n'existe pas seulement l'espace des Kosovars arm�s, comme le pensaient les Occidentaux. Bien s�r, le retour de Rugova � Pristina induisait un accompagnement financier. �

C'est dans le monde religieux que l'activit� diplomatique de Sant'Egidio est la plus controvers�e. Quand la communaut� fait du travail social, aux yeux de la tradition catholique elle passe facilement pour une oeuvre de charit�. Quand elle prie selon son rite, elle ne d�range gu�re plus. Quand elle se m�le plus franchement de politique �trang�re, alors certains, � la secr�tairerie d'Etat du Saint-Si�ge, appr�cient moins. Nombreuses sont les anecdotes sur la � froideur � de certains dirigeants de la Curie. D'autant que l'association a su devenir grande, pouvant r�sister � la pression... A Santa Maria, le 12 mai, en t�moignait la messe pour son 32e anniversaire c�l�br�e par le cardinal Etchegaray, par ailleurs pr�sident du comit� du Jubil�. On y a aper�u le premier ministre, Giuliano Amato, et Walter Veltroni en habitu�s, l'ambassadrice am�ricaine, ses homologues de Grande-Bretagne et de C�te d'Ivoire, le patriarche de Bagdad, etc. Quatre cardinaux de la Curie et une trentaine d'�v�ques assistaient Mgr Etchegaray, comme heureux chez lui. Le dimanche pr�c�dent, Jean Paul II avait salu� les � nouveaux martyrs � du si�cle �coul�. Andrea Riccardi avait alors fait le commentaire. Quoi de plus normal ? C'est � Andrea que le pape avait confi� le travail pr�paratoire, lui ouvrant m�me les archives du Vatican. Le cardinal Etchegaray lui avait demand� d'�tablir la liste de ces personnalit�s, ainsi que lui-m�me nous le raconte dans son ouvrage Le Si�cle du martyr, les chr�tiens au XXe si�cle.

Andrea d�ne r�guli�rement avec le pape en toute simplicit�. Ce dernier a d�couvert la communaut� lors d'une visite en tant qu'�v�que de Rome en 1986. Depuis, � c'est un soutien sans faille du pape �, mais pas de l'Eglise. Jean Paul II a nomm� en mars dernier un des fondateurs de Sant'Egidio, Don Vicenzo Paglia, �v�que � Terni. � Nous serions, dit-on , la diplomatie secr�te du pape. Ce n'est pas vrai. Le Saint P�re ne nous le demande pas. Nous n'avons pas de rapports organiques ou de d�pendance avec lui. Il a des visions, nous agissons en toute ind�pendance �, pr�cise Andrea Riccardi. Mais le pape est peut-�tre tout heureux d'avoir des fils capables d'aller au-devant de ses d�sirs, quitte � ce qu'ils court-circuitent la Curie.

Danielle Rouard