Lors de votre présentation à la presse, le 31 mai dernier, vous avez cité parmi vos préoccupations celle des vocations.
En effet, cela me tient à cœur notamment pour avoir présidé le Séminaire de Louvain-la-Neuve et donné cours au Séminaire de Liège. La crise actuelle des vocations ne doit pas être ramenée à la difficulté de vivre le célibat. Les Eglises protestantes connaissent aussi cette crise. Mais il faut revaloriser le profil du futur prêtre. Il faut qu’il soit appelé, désiré, porté.
Vous avez aussi mis l’accent sur le rôle des laïcs et en particulier des femmes. Comment valoriser les vocations qui n’incluent pas le célibat ?
Il ne faut pas se limiter aux intitulés officiels des ministères laïcs comme l’acolytat ou le lectorat. Ils doivent être incarnés dans des activités nouvelles, y compris sociales. L’expérience des pays du Sud, où des laïcs sont responsables de communautés, peut nous aider à cet égard. C’est dans ce cadre que nous pouvons réfléchir au rôle de la femme, non pas comme prêtre mais dans les fonctions où elle a sa place. On voit beaucoup de communautés nouvelles dirigées par des femmes, comme les Focolari avec Chiara Lubich et maintenant Maria Voce. Il y a aussi des secteurs comme la santé et la famille où les femmes ont une sensibilité particulière, même si ce n’est pas exclusif. Il ne faut pas se focaliser sur l’idée de devenir prêtre. Depuis Vatican II, le prêtre n’est plus celui qui fait tout.
Vous avez dit qu’il faut que les "clans" se parlent dans l’Eglise. L’unité dans la diversité, c’est le grand défi ?
On s’est fort polarisé sur une vision gauche-droite ou progressistes-traditionnalistes. Aujourd’hui, on voit mieux qu’il n’y a pas de position idéale. Il y a des diversités qui sont quand même une richesse.
C’est dans cet esprit que vous allez parfois célébrer la messe selon le rite préconciliaire à l’église du Saint-Sacrement à Liège ? Oui. Il y a une richesse et une beauté dans le rite d’avant Vatican II qui méritent d’être valorisées. Il faut cesser les exclusions réciproques. Eric de Beukelaer, comme doyen du centre-ville, a aussi cette volonté.
Quel a été le rôle de la communauté Sant’Egidio dans votre parcours personnel ? J’ai rencontré Sant’Egidio à Rome où j’avais été envoyé pour étudier la théologie en 1978. L’équilibre qu’il y a chez eux entre la prière et la solidarité avec les plus pauvres m’a beaucoup frappé. Il faut voir l’enthousiasme des jeunes qui consacrent, presque chaque jour après 16 heures durant leur vie d’étudiant, un temps pour l’amitié avec les pauvres, qui se termine par un temps de prière. A l’époque, la communauté n’existait qu’en Italie et elle était considérée comme inexportable, surtout dans les pays du nord. Puis, cela s’est développé, à Anvers dès 1985 et ensuite du côté francophone.
Mgr Jousten s’est signalé par quelques coups de gueule retentissants à propos des drames sociaux de la région liégeoise (Inbev, ArcelorMittal…) Vous comptez faire de même ? Je serai un évêque qui s’engagera dans la promotion de la justice sociale, certainement. L’idée même de justice sociale, à réaliser à travers les structures publiques (Etat) et intermédiaires (syndicats), est née dans l’Eglise catholique à la fin du XIXè siècle, à partir de la réflexion sur l’injustice sociale dont le prolétariat était la victime. Il y a eu à la fois intégration et réaction au socialisme qui envisageait alors la révolution. Aujourd’hui, chrétiens et socialistes se retrouvent sur un même terrain qui est celui de la social-démocratie. Mais il y a une grande différence, c’est que les problèmes dépassent le cadre de l’Etat et ont pris une dimension mondiale, qui les rend plus complexes. C’est au niveau mondial qu’il faut concevoir des lieux de solidarité entre nos pays, régions, diocèses et ceux du Sud.
Quel rôle vous sera dévolu au sein de la Conférence épiscopale?
Il est trop tôt pour le dire mais je m’installerais bien dans les compétences de mon prédécesseur et donc dans les matières relatives à l’engagement social. Cela dit, ma formation d’historien me sera aussi utile ici : elle permet de prendre un certain recul mais aussi d’apporter des idées. L’histoire nous éclaire sur nombre de situations et la compréhension du passé et permet d'éclairer le présent et de trouver des voies originales.
Vous pensez à quelque chose en particulier ?
Par rapport à la place de la femme, dans l’Eglise primitive il y avait une grande diversité avec par exemple la place prise par les veuves. L’histoire stimule aussi par rapport au proche passé : c’est Jean-Paul II qui s’est inspiré de plusieurs modèles de l’histoire tels saint Stanislas, les prêtres polonais ou du Christ lui-même. Moi-même j’ai parmi mes modèles l’abbé Antoine Pottier qui fut le grand promoteur de la justice sociale et donc de la démocratie chrétienne en Wallonie. Non seulement il prôna la création de syndicats chrétiens à Liège mais fut aussi l’inspirateur de nombreuses législations sociales.
A un moment de votre carrière, vous avez été un des porte-paroles de l’Eglise. Cette dernière est toujours un peu dans les cordes. Ne faut-il pas améliorer la communication?
Il faut certainement valoriser la communication en ses divers lieux. Vous pensez sans doute au drame de la pédophilie. Pour moi, ce n’est pas qu’une question d’image mais ce sont de terribles réalités. Les atrocités commises par certains clercs ont eu des répercussions terribles sur la vie des victimes. Cela dit, si l’image de l’Eglise a été écornée, on est arrivé à plus de vérité. Ce fut une opération vérité mais aussi une purification et l’Eglise doit continuer à manifester sa compassion pour les victimes. On a découvert aussi la grande fragilité de la vie humaine. Il faut en tout cas continuer à manifester de l’attention aux victimes et valoriser l’usage de la parole.
N’a-t-on pas trop agressé l’Eglise?
Il y a eu une focalisation mais qui s’explique : quand une autorité morale se méconduit elle se retrouve dans l’œil du cyclone. Cela dit, ces derniers temps on a eu de très belles images d’Eglise depuis l’avènement du pape François. J’aurais aussi tendance à valoriser les choses belles. Je pense par exemple aux Journées mondiales de la jeunesse; d’où aussi l’importance de grands événements pour le dire.
Le nouveau Pape fait de la bonne communication…
C’est un style un peu nouveau qui repose sur beaucoup de valeurs. Son fil rouge, c’est l’attention à l’autre et ce même en dehors de l’Eglise. Son déplacement à Lampedusa, ce lundi à la rencontre de ceux qui venus d’Afrique cherchent un peu de bonheur en Europe est un signe de plus de son attention pour toutes les formes de la condition humaine. En outre, tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait, l’est toujours avec un grand cœur.
Son appel à la collégialité interpelle aussi le 92e évêque de Liège ?
Oui car un évêque n’est pas seulement responsable de son diocèse mais aussi coresponsable de l’Eglise universelle. Le fait d’appartenir à une communauté internationale me frappe et me renforce dans ma perception de la validité de l’inspiration évangélique de toutes les cultures.
L’Eglise doit-elle s’investir davantage dans la culture ?
Elle doit être présente à la culture d’aujourd’hui et entrer en dialogue avec la raison et avec la science. En fait, la foi chrétienne a déjà beaucoup inspiré la culture quand on pense à Bach ou Haendel ou à tant de grands peintres…
L’évêque de la Communauté de Sant’Egidio plaide aussi pour le dialogue interconfessionnel ?
Oui avec le judaïsme et avec l’islam mais aussi avec la laïcité. C’est une caractéristique du monde contemporain; cela implique une reconnaissance réciproque. La spiritualité de l’islam peut beaucoup apporter aux chrétiens, il y a une influence du catholicisme social sur le bouddhisme et sur l’hindouisme. Les chrétiens doivent aussi redécouvrir la valeur de la liberté. Le croyant est interpellé sur la liberté de son choix d’où l’importance du dialogue qui est porteur pour tous. C’est le sens de la Marche pour la paix qu’organise Sant’Egidio le premier janvier. Lors de sa dernière édition, nous avons tous été marqués par l’intervention sous forme de prière d’une jeune fille musulmane. C’est dans un moment comme celui-là qu’on perçoit l’importance d’un sentiment de reconnaissance.
Mais tous ces dialogues sont pollués par les radicalismes…
Il faut les combattre en se parlant, partout où c’est possible. Et avec des paroles qui vont au-delà des a priori et des désillusions. Il ne faut pas craindre d’aller à contrecourant…
Christian Laporte et Paul Vaute