Comunità di Sant'Egidio - Napoli 2007 - Per un mondo senza violenza - Religioni e Culture in dialogo Comunità di Sant'Egidio - Napoli 2007 - Per un mondo senza violenza - Religioni e Culture in dialogo
 

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Comunit� di Sant'Egidio

22/10/2007 - 09:30 - Aula Magna - Universit� Federico II
PANEL 3 - La ville entre conflit et cohabitation

Marc Stenger
�v�que catholique, France

LA VILLE ENTRE CONFLIT ET CONVIVIALITE

Sant Egidio � Naples

22 octobre 2007

Dans cette r�flexion partag�e, je voudrais tr�s modestement apporter l��clairage biblique dont je pense qu�il ne sera pas inutile pour notre questionnement.

Le th�me de la ville est fondamental dans la repr�sentation de l�histoire du salut qui est, pour les croyants, leur histoire d�humanit�. Permettez-moi de rappeler d�entr�e de jeu que l�histoire du salut se d�ploie dans son expression biblique entre un commencement situ� dans un jardin, le jardin d�Eden, et une fin, th�matis�e autour d�une ville, la J�rusalem nouvelle.

L�architecture des deux Testaments est telle que l��volution de cette histoire du salut appara�t comme lin�aire et non pas circulaire. Il n�y a pas de retour en arri�re, de paradis b�ti sur le mythe du retour � la nature. Nous allons vers la cit� de Dieu, nous n�allons pas vers le jardin de Dieu.

La vision de l�histoire qui est � l�arri�re-plan de cette repr�sentation de l�histoire du salut a sans aucun doute un fondement ethnologique et sociologique. Je n�en parlerai pas. Cet itin�raire a aussi une profonde signification th�ologique et spirituelle. C�est elle que je voudrais �voquer d�abord.

1. Le jardin incarne une religion dont le Dieu est tr�s li� � la nature. Il est le lieu du d�ploiement harmonieux de cette nature cr��e dont Dieu lui-m�me a d�termin� la bont� et la beaut� et dont les diff�rentes composantes concourent � sa gloire.

Dans ce jardin nul en dehors de Dieu n�a la ma�trise de l�ensemble.

L�homme y a sa place, mais participe de la m�me finalit� que le reste de l��uvre cr��e, rendre gloire � Dieu.

Le facteur d��volution r�side en ce que, � cause de ses potentialit�s propres, la relation entre l�homme et son Dieu se charge de concurrence pour la ma�trise de la cr�ation. A partir de l� les lignes de la civilisation, de la culture et de la religion bougent.

2. Le passage � la ville, c�est le passage � la pr�dominance de l�homme. La ville est son projet, sa conception, sa r�alisation, sa victoire, qui peut aussi se transformer en cruelle d�faite. On n�est plus dans ce jardin o� le destin de l�homme est pens� par un autre que lui et o� cet homme trouve sa pleine r�alisation dans un ensemble dont il est partie prenante, mais dont il n�est pas le ma�tre. L�homme s�est affirm� � travers la ville, parfois m�me contre Dieu.

Dans cette histoire de l�humanit� en marche vers le salut s�inscrit une autre th�matique qui vient croiser l��volution qui va de la conception de l�homme, partie de la cr�ation � celle de l�homme, ma�tre de son destin, la th�matique des deux cit�s, de l�opposition entre la cit� terrestre et la cit� de Dieu, une opposition qui a eu beaucoup d�importance dans la pens�e chr�tienne pour dire ce qu�est l�homme et comment il vit sa relation avec les hommes et avec Dieu. Les deux types de ville dont il est question symbolisent deux orientations prises par l�humanit� depuis les origines par rapport aux hommes et par rapport � Dieu : d�un c�t� l�amour de Dieu, de l�autre l�amour du si�cle.

Nous le savons, c�est l�Apocalypse qui parle de la ville comme point d�aboutissement de la recherche de l�homme pour trouver sa place dans le monde, face � Dieu. Les deux types de ville y sont caract�ris�s par deux mod�les : Babylone et J�rusalem. Je voudrais demander les caract�ristiques de ces deux mod�les � l�Apocalypse.

A. Babylone

L�Apocalypse la pr�sente comme � le lieu qui abreuve toutes les nations de sa fureur de prostitution � (14,8). Babylone d�signe les empires oppos�s � Dieu et vou�s � la mal�diction. Sa corruption est figur�e par l�ivresse d�cha�n�e de la d�bauche, laquelle est aussi exprim�e comme � l�adoration de la b�te �. Elle est le mod�le de la ville d�voy�e, dont les modes de vie aboutissent � la ruine.

La cons�quence des choix qui sont faits dans cette ville ce sont � les tourments dans le feu et dans le soufre � (14, 10). Ses habitants � n�ont de repos ni le jour ni la nuit � (14, 11).

Ces tourments sont � les coupes de la col�re de Dieu � (16, 1), � l�image des sept plaies d�Egypte.

- un ulc�re malin et pernicieux frappe les hommes qui portent la marque de la b�te (16, 2)

- les eaux sont chang�es en sang � (16, 3-4)

- une intense chaleur br�le les hommes (16, 9)

- les t�n�bres s��tendent sur la terre des hommes (16, 11)

- les fleuves sont ass�ch�s (16, 12)

- les grenouilles envahissent la terre (16, 13-14)

- les �clairs, le tonnerre, les tremblements de terre brisent les cit�s (16, 18-19).

L�intention de l�auteur de l�Apocalypse n�est pas de d�finir une architecture ni une �thique urbaines. Il s�agit d��voquer les cons�quences pour l�homme des choix qu�il fait : choix pour le si�cle, pour ce que Saint Augustin appelle aussi les � biens inf�rieurs �, ou choix pour l�amour de Dieu. Mais il est significatif que les d�sordres symboliques �voqu�s dans l�Apocalypse, la ville ait �t� particuli�rement � m�me de les engendrer au cours de l�histoire : les �pid�mies de peste du Moyen-Age qui se r�pandaient dans les villes de fa�on vertigineuse � cause de la concentration des populations ou encore les ravages des incendies qui affectent surtout les villes � cause de leur habitat resserr� en sont des illustrations.

Tous ces tourments sont le ch�timent de Babylone, la grande prostitu�e couverte d�or, mais portant en elle � l�or de ses abominations �. Cet or est un or illusoire qui repose sur l�exploitation, l�in�galit�, le maintien d�une partie de la population dans la d�pendance et l�ignorance. (cf. les villes de la r�volution industrielle du XIXe si�cle).

C�est le ch�timent aussi de ceux qui gouvernent en se faisant les complices des choix d�voy�s. Une telle nation est destin�e � p�rir. Elle a �t� le lieu propice � tous les d�r�glements, elle ne pourra que se d�sagr�ger. S�il n�y a aucun principe r�gulateur, le mod�le urbain va � sa perte, car l�homme est enclin � se laisser enivrer par tout ce qui est d�ploy�. Babylone est ce lieu de concentration de richesses, de savoir et de pouvoir qu�on a fait servir � annexer et � r�duire en esclavage. Ce qui faisait sa grandeur contribue � sa chute. Il y a dans la description de l�Apocalypse l�affirmation d�une sorte d�orgueil et d�aveuglement de l�homme dont les choix sont obnubil�s par le fastueux d�ploiement de possibilit�s concentr�es dans la ville gr�ce au grand brassage de peuples qui la constituent. Celui-ci repose bien souvent sur l�in�galit�, les uns accaparant les biens, les autres n�ayant pour seule perspective que l�esclavage, la souffrance, la privation sous toutes ses formes.

En ce qui concerne ce mod�le la mort est inscrite dans ses choix. Toutes les potentialit�s qui y sont renferm�es peuvent contribuer � la destruction, si elles n�ont pas d�autre fin qu�elles-m�mes. Dans l�histoire il ne manque pas de ces villes orgueilleuses dont il ne reste aucune trace.

B. J�rusalem

L�autre mod�le c�est J�rusalem, dans les caract�ristiques sont �voqu�es au chapitre 21 de l�Apocalypse.

Elle est la cit� sainte

- dont l��clat rappelle une pierre pr�cieuse (21, 11)

- entour�e d��pais et de hauts remparts (21, 12) non pas dans une perspective de d�fense et d�angoisse face � des agresseurs. La symbolique des remparts est une symbolique de solidit� en lien avec une id�e de perfection : cette ville ne porte pas en elle la ruine ni le danger de la ruine, mais l�accomplissement.

- construite avec les mat�riaux les plus �labor�s : jaspe, saphir, chalc�doine, etc. (21, 19).

La perfection n�est pas seulement celle des mesures, mais aussi celle du mat�riaux. Il n�y a pas d�id�e d�ostentation, mais d�ach�vement par le choix de ce qui est le meilleur.

- une ville sans temple (21, 22)

parce que Dieu est au c�ur de la cit� ; il n�y a pas besoin de lieu r�serv� pour la pr�sence sacr�e : la communication avec Dieu est imm�diate et universelle.

- n�ayant besoin ni du soleil ni de la lune pour l��clairer (21, 23) car la gloire de Dieu l�illumine.

- une ville dont les portes ne ferment jamais, car on ferme les portes pour la nuit ; or dans ce lieu � il n�y aura plus de nuit � : on n�y entendra plus parler de violence, de ravages et de ruines, parce qu�elle est fond�e sur la justice et libre de l�oppression et de toute frayeur.

- une ville qui aura au milieu de la place et des deux bras du fleuve un arbre de vie produisant douze r�coltes.

On peut se dire que ces �vocations symboliques trouvent des correspondances dans des repr�sentations urbaines r�v�es plus que dans des villes r�alis�es. On retrouve souvent ces id�es dans les mod�les de cit� id�ale propos� par des philosophes et des urbanistes.

Mais ce mod�le a aussi quelques traductions dans la r�alit� :

1. L��clat c�est celui que donnent des visages, lorsqu�on a su cr�er une vie de quartier, favoriser le partage et la rencontre, susciter de l�esp�rance pour l�avenir.

2. Un nouveau sentiment de s�curit� qui ne vient pas de l�exclusion et de l�enfermement de certains par d�autres, mais de l�int�gration, de la communication entre habitants et entre quartiers, de l�ouverture vers l�ext�rieur. Le sentiment de s�curit� correspond alors � la conscience d��tre assez solides pour n�avoir pas d�abord � se d�fendre contre les autres mais pour aller vers eux et entrer avec eux dans des projets.

3. La proposition de points d�ancrage au c�ur d�une ville toujours en chantier.

Une ville toujours en chantier, reposant sur du provisoire est profond�ment ins�curisante. Il est important de savoir offrir dans une ville des lieux d�identification, d�expression et de rassemblement qui servent de rep�res dans l�aventure urbaine.

4. Des lieux spirituels qui ne soient pas des temples o� on enferme Dieu et en particulier o� on isole un Dieu des autres. Le communautarisme est fortement g�n�rateur de violence. J�ai l�exp�rience de la contribution apport�e � la s�r�nit� urbaine par la rencontre et l�engagement commun des grandes confessions religieuses.

Le culte � Dieu qu�il faut pratiquer n�est pas un culte qui l�enferme dans un temple, mais qui met en �uvre sa justice dans les relations au sein de la cit�.

5. Permettre dans le contexte de la cit� le d�ploiement des convictions, des enthousiasmes, des engagements : c�est ce qui �claire et qui donne vie. L� o� la civilisation urbaine privil�gie l�artificiel, la vie s�amenuise, voire dispara�t.

6. Des murs et des portes non pas pour se mettre � l�abri, mais pour �tre des passages pour se rencontrer. La J�rusalem d�aujourd�hui, n�est pas celle de l�Apocalypse ; on esp�re qu�elle le deviendra.

7. Au centre de la cit� des lieux de rencontre et de vie partag�e, maisons communes, espaces de conversation qui seront autant d�arbre de vie emp�chant le vide l� o� confluent les hommes. Quand le c�ur est vide, tout est vide.

Une lecture chr�tienne de l�Apocalypse reconna�t dans la J�rusalem nouvelle l�Eglise. Mais on peut appliquer ces cat�gories spirituelles � la r�alit� urbaine�

- Ce qui est d�terminant c�est que Dieu veut � faire sa demeure � dans la ville des hommes, parce que c�est l� que se d�ploie l�homme. Il avait l�homme avec lui dans le jardin ; il doit venir habiter chez l�homme dans la ville. Dans l�Apocalypse il annonce sa venue. Il veut faire sa demeure l� o� est l�homme. La ville est un lieu vivifiant non pas du seul fait de l�entreprise humaine qui peut aussi �tre porteuses de mort, mais parce que Dieu y donne vie, parce que des religions lib�ratrices pour l�homme s�y d�ploient.

Sa pr�sence doit se manifester non pas par des temples mais par la mise en �uvre de sa � justice �, qu�on pourrait d�cliner ainsi :

. que chaque homme ait une place

. qu�il ait voix au chapitre

. qu�il soit pris au s�rieux

. qu�il ait la possibilit� de se d�ployer.

La d�mocratie urbaine et l��galit� de condition de vie et des chances sont la base de la ville.

- la pr�sence de Dieu invite au rassemblements car notre Dieu est un Dieu qui veut constituer l�humanit� en peuple. Le fait qu�il fasse sa demeure dans la cit� plaide donc pour que soit mis fin � tout clivage et � toute exclusion. Le peuple rend gloire � Dieu lorsque l�ensemble des charismes pour se d�ployer : alors le bien de tous peut-�tre rejoint.

La ville id�ale n�existe pas aujourd�hui. Mais la Bible, en particulier l�Apocalypse :

- nous montre les dangers � �viter

- nous propose des pistes pour la construire.

+ Marc STENGER

Ev�que de Troyes