| 23 Novembre 2010 |
Les catholiques engagés dans la lutte contre le sida se sentent encouragés |
Après les déclarations de Benoît XVI sur le préservatif, dans un ouvrage à paraître le 27 novembre aux Editions Bayard, les catholiques qui travaillent aux côtés des malades du sida se disent encouragés mais regrettent l'instrumentalisation du débat |
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«Enfin!» La réaction du P. Jean-Benoît Casterman tient en un mot.
Au lendemain de la publication des déclarations de Benoît XVI sur le préservatif, ce frère de Saint-Jean qui a travaillé vingt ans au Cameroun dans l'édu-cation sexuelle et la lutte contre le sida, considère qu'il s'agit là d'une « révolution». Non pas tant sur le fond, mais dans la forme. «C'était une des principales pierres d'achop-pement dans le dialogue entre l'Église et le monde, résume-t-il. Depuis le voyage de Jean-Paul II en Ouganda en 1993, l'Église était accusée, à tort, d'interdire le préservatif Et comme le Vatican n'a jamais répondu clairement aux médias, le silence accréditait l'opinion d'une prohibition du préservatif par le pape!».
Même soulagement du Père Blanc Bernard Joinet, ancien mission-naire en Tanzanie, aujourd'hui âgé de 80 ans. «Partout, on va dé-sormais pouvoir parler ouvertement du préservatif», se réjouit-il. Selon lui, a le pape s'est rendu compte que les couples sérodiscordants (NDLR: dans lesquels l'un des conjoints est porteur du VIH) ne peuvent donner la mort à leur conjoint et il en a tiré les conséquences qui s'imposent». Dès le milieu des années 1980, comme il l'a raconté dans Un prêtre face au sida (1), le P. Joi-net s'était trouvé confronté au sida et avait estimé qu'il était « impensable» de ne pas parler du préservatif. C'est ainsi qu'il inventa une pédagogie très concrète qu'il promut dans une vingtaine de pays et qui s'appuie sur la méthode «ABC », pensée par le théologien américain James F. Keenan : «L'eau, c'est le sida: pour ne jamais tomber dedans, il faut toujours être sur l'une des trois barques que sont l'abstinence (A), la fidélité (B pour be fa ithful) et le préservatif (C pour condom). Il n'y a que es trois moyens pour échapper à l'épidémie!» Pour-tant, le P. Joinet s'est vu interdire de parler du préservatif par les évêques de Tanzanie. Le film qu'il avait réalisé a été interdit en paroisses et il a été obligé de quitter ce pays en 1999.
Président de l'Association chrétiens 82 sida, le dominicain Antoine Lion «prend acte» lui aussi d'un « revirement depuis trop longtemps attendu » et considère que l'Église catholique, «n'étant plus entravée par un manque de crédibilité dans sa parole officielle pourra rejoindre et conforter l'ac-tion de ses membres dans la lutte contre le sida, avec la note propre que lui inspire l'Évangile». Sévère avec l'institution, il estime que cette interdiction du préservatif, «contraire aux requêtes de santé publique dans le monde entier mais relayée strictement par une partie des évêques et du clergé, notamment en Afrique, a para-lysé ou dramatiquement ralenti des politiques de prévention, là où l'Église catholique est vraiment influente».
Très impliquée dans la prise en charge des malades et des orphe-lins du sida, la communauté de Sant'Egidio déplore quant à elle cette a instrumentalisation» du débat sur le préservatif. «Éviter la contamination, c'est bien, et s'il y a une évolution de la pensée de l'Église sur ce point, c'est très bien. Mais l'urgence est de soi-gner ces millions de malades: le véritable scandale est la difficulté de l'accès aux traitements», rap-pelle Paolo Ciani, son respon-sable de la communication.
Bien d'autres associations chrétiennes œuvrent pour arrêter la diffusion du virus VIH et prendre soin des malades, sans parler de campagnes d'information et de prévention, de mise à disposition gratuitement d'antirétroviraux, de lutte contre la stigmatisation, ou encore d'accompagnement spi-rituel... Il ne s'agit pas, pour ces acteurs sur le terrain, de laisser croire que l'utilisation du pré-servatif dispense d'une véritable éducation à la vie et à l'amour. «Respecter l'autre et être responsa-ble devant le risque de transmission du virus, c'est tout faire pour que le virus ne soit pas transmis. Dans les cas où il est pratiquement impossible de s'abstenir de relations sexuelles, alors le préservatif peut être utilisé», rappelle ainsi dans un communi-qué publié dimanche Mgr Pierre d'Ornellas, archevêque de Rennes qui a mené le groupe de travail de la Conférence des évêques de France sur la bioéthique.
«Les gens s'imaginent que seule l'Église tient ce genre de recom-mandations. Mais pour la Banque mondiale avec qui je travaillais, aussi, la meilleure réponse au sida est l'abstinence ou la fidélité dans le couple», assure le P. Casterman qui vit aujourd'hui en paroisse à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), où les frères de Saint-Jean n'hésitent pas à distribuer des préservatifs aux travestis du bois de Boulogne qu'ils accompagnent. «Dans cette éducation, il faut savoir dire simplement: "Marchez dans les bons chemins de l'amour, mais si vous vous égarez, évitez le pire, protégez-vous."»
Il raconte avoir souvent posé la question autour de lui: que va-t-il se passer quand l'Église permet-tra le préservatif? «Beaucoup de catholiques redoutaient que tout le monde s'engouffre dans la brèche. Mais je leur répondais que tout le monde est déjà passé à côté de l'Église! À cause de cette question, plus personne ne l'écoute... Je suis convaincu aujourd'hui qu'il ne va rien se passer: pas plus que lorsqu'on désamorce une bombe. Ça détend et tout le monde dit: enfin!»
CÉLINE HOYEAU
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