Écrivain, rédacteur en chef de "Fraternité Matin", Côte-d'Ivoire
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M. Louis Michel, l’ancien commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire, disait en prélude au sommet historique de Lisbonne, qui avait vu en décembre 2007, la participation de l'ensemble des 28 pays de l'Union européenne et des 53 pays africains, que : « Ce sommet sera porteur d'une nouvelle ambition pour le partenariat euro-africain. L’Europe et l’Afrique ont un intérêt commun à forger un partenariat novateur, global et équilibré pour profiter au mieux des opportunités du monde nouveau et répondre à ses défis ».
Une décennie après une annonce qui se voulait optimiste sur les relations entre les deux continents, force est de constater qu’au-delà des déclarations, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Certes, le schéma qui se présente à nous met bien en exergue la nécessité de faire chemin ensemble, car les défis mondiaux (lutte contre le terrorisme, le réchauffement climatique, pollution, etc.) qui s’érigent sans distinction face aux deux continents, sont autant de raisons pour comprendre que les frontières géographiques ne doivent pas être une forteresse dressée contre l’espace humain, avec ce qu’elle sous-entend comme valeurs à défendre ensemble. Mais, au Sud comme au Nord, les regards ne convergent pas toujours dans la même direction, ni vers une communauté de destin. Et pourtant, l’histoire des relations entre l’Europe et l’Afrique est une toile dense et multiforme de rapports politiques, culturels, humains et économiques tissée par des contradictions, des mutations, des aberrations, mais aussi et surtout des rencontres fécondes.
On comprendra donc que nous aborderons le thème qui nous est soumis à l’aune de ce qui nous rassemble et qui devrait nous inciter à élargir les chemins que nous parcourrons, pour en faire des voies royales d’une intégration euro-africaine, des boulevards d’un partenariat où chacun trouve son compte.
Comment y parvenir ? Comment briser les barrières physiques, raciales et psychologiques, si nous souhaitons construire un destin commun pour une entente intelligente entre l’Europe et l’Afrique ?
Au Sud de la Méditerranée, le dynamisme de l’Union européenne a fait rêver, au point que l’Organisation de l’unité africaine (OUA) s’est muée en Union africaine, avec pour ambition de réaliser le même projet de consolidation des relations entre les États du même espace géographique. Puis, les rivalités, les bisbilles, les crises économiques et plus récemment, le retrait de la Grande Bretagne, ont comme flouté la vision d’une Europe forte et unie.
Au Nord, les assauts répétés des terroristes, le mouvement massif de populations se déplaçant du Sud vers le Nord, ont fini par faire le lit d’une sorte de peur collective européenne face à une Afrique qui menacerait, non pas seulement le pain quotidien des Européens, mais leur civilisation même. Or, des deux côtés, les raisons de construire ensemble un monde meilleur sont plus nombreuses que les réticences qui nous braquent les uns face aux autres.
La déstabilisation des équilibres existants depuis des lustres entre l’humanité et sa planète est en train de s’accélérer, et cela a pour conséquences les émissions mondiales de gaz à effet de serre qui sont en train de nous asphyxier, la disparition des espèces rares et la baisse drastique de certaines ressources vitales comme l’eau et les sols, la dégradation des forêts, des rivières avec la perspective d’une baisse de rendement agricole par appauvrissement des sols, etc. Comment inverser cette tendance si chaque continent se recroqueville sur lui-même en espérant préserver son seul espace ? Par exemple, il est de notoriété que l’Afrique est le plus petit pollueur du monde, alors que les effets de la pollution et du réchauffement climatique impactent ce continent à telle enseigne que les inondations, les famines, les migrations liées à la raréfaction de l'eau et des terres cultivables sont de plus en plus préoccupantes.
Un autre exemple de la nécessité de bâtir ensemble un espace humain porteur d’espoir, est le drame récurrent sur les côtes européennes, de ces jeunes immigrants africains noyés dans des eaux qui refusent elles aussi d’être la voirie des désespérances d’une jeunesse qui n’imagine le verre à moitié plein que de l’autre côté de la mer. Nous avons affaire à des déplacements d'une aire de civilisation vers une autre. Des Africains qui s'installent en Europe occidentale et sont en provenance la plupart du temps de pays en proie à l'instabilité ou à l'absence d'État de droit, quand bien même qu’ils ne sont pas démunis de ressources naturelles. Ces régions d’Afrique ont un patrimoine civilisationnel très riche dont leurs ressortissants ne sont pas prêts à se défaire, même s’ils s’installent sur le Vieux Continent. En face, les habitants de l’Europe ne sont pas non plus disposés à renoncer à une identité qui a fait la grandeur de leurs pays. Ces réticences réciproques, au demeurant légitimes, ne sont pas de nature à favoriser un dialogue des cultures indispensable pour donner du sens à l’espérance.
L’Afrique est le premier continent avec lequel l’Union européenne a mis en place un programme commun de coopération et l’initiative fondatrice de la coopération entre l’Afrique et l’Europe a été la « Déclaration de Lisbonne » adoptée lors du Sommet qui s’est tenu les 8 et 9 décembre 2007 dans la ville éponyme. Les signataires de la déclaration se convainquaient bien d’être :
« … résolus à bâtir un nouveau partenariat politique stratégique pour l’avenir, en dépassant nos relations traditionnelles établies sur le mode bailleurs de fonds/ bénéficiaires et en nous appuyant sur des valeurs et des objectifs communs dans notre recherche de la paix et de la stabilité, de la démocratie et de l’État de droit, du progrès et du développement ».
C’est certain, la volonté politique est indispensable et l’implication des Chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne et de l’Union africaine est déterminante pour lever les obstacles liés à la promotion de la coopération entre les deux continents.
Cependant, il importe de sortir des anciens schémas qui consistaient à voir l’Afrique uniquement comme une terre où l’on pouvait se procurer les matières premières indispensables aux industries européennes et, à une certaine époque, une main-d’œuvre capable d’exercer les métiers dont les Européens ne voulaient pas. La vision doit changer, et elle change. Citons le vice-ministre italien des Affaires étrangères, M. Mario Giro qui disait ceci, dans une interview qu’il a accordée à Fraternité Matin, le journal que je dirige : « De l’Europe, on parle beaucoup de l’Afrique d’une manière nouvelle. Bien sûr, l’impulsion est donnée par la question migratoire et finalement les réflexions tournent désormais vers l’idée de concevoir le co-développement. Parce qu’on ne s’en sortira pas si on n’a pas compris combien les deux continents sont entrelacés et surtout combien est fort l’intérêt commun de se développer ensemble. Si je regarde la situation européenne et africaine de façon globale, je vois que les grands dangers sont ailleurs… L’approche, c’est d’éviter de croire que l’Afrique est simplement un gisement à ciel ouvert, mais de comprendre que l’Afrique est le futur de l’agriculture du monde, qu’elle a encore des terres à exploiter, qu’elle est jeune, alors que l’Europe est vieille. L’Afrique est le sud de l’Europe et l’Europe, le nord de l’Afrique, en quelque sorte. On ne peut pas répondre aux défis, par exemple le défi migratoire, seulement avec l’aide au développement. »
L’enjeu est là. Changer de regard sur les relations Europe-Afrique. Changer de paradigme. Si de l’Europe l’on doit cesser de voir l’Afrique uniquement comme un réservoir de matières premières ou comme une poubelle où l’on viendrait déverser ses déchets toxiques et ses appareils et voitures usagés, d’Afrique, l’on doit cesser de voir l’Europe comme un eldorado où il suffit d’arriver pour trouver le bonheur. Lorsque M. Mario Giro parle de co-développement, il veut dire simplement que nous devons nous développer ensemble. Comment ? Dans cette interview citée plus haut, M. Mario Giro avait parlé de migration circulaire. Cela veut dire que l’Europe peut aider à former les Africains, qui retourneraient chez eux pour mettre cette connaissance au service de leur communauté. L’Europe peut aussi investir de façon plus conséquente en Afrique, afin de créer des emplois qui maintiendraient les populations sur place. Et pour sa part, une Afrique qui ne serait plus vue comme une menace, pourrait apporter à la vieille Europe sa jeunesse, sa vitalité, et sa créativité qui étonne de plus en plus en plus, au fur et à mesure que l’on la découvre.
Il n’est plus possible d’avoir de part et d’autre de la Méditerranée, au nord un continent très riche et refermé sur lui-même, et au sud, un autre, très pauvre, dont les habitants n’aurait pas accès au premier. Cela n’est pas possible et jusqu’à ce jour, tous les moyens imaginés pour empêcher les Africains d’accéder à l’Europe ont échoué. Un pays comme l’Italie est aujourd’hui à bout de souffle. Chaque jour, ce sont des centaines de migrants qui échouent sur ses côtes. Pendant combien de temps encore les Italiens supporteront ils cela ? L’Europe et l’Afrique n’ont pas d’autre choix que d’imaginer une autre façon de bâtir leur destin commun.
Cependant, avoir un destin commun impose à chacun des devoirs. Pour ce qui est de l’Afrique, elle a le devoir de bien se gouverner, et surtout de respecter les droits élémentaires de ses citoyens. Ne nous cachons pas les vérités ; les raisons qui poussent le plus souvent les jeunes Africains à prendre le risque de mourir dans le désert ou dans la mer plutôt que de rester dans leur pays, est que ces derniers sont mal gérés, et/ou ils n’y ont aucun des droits les plus basiques, comme la simple liberté de penser ou de s’exprimer. Pour sa part, l’Europe doit cesser d’imposer aux Africains des satrapes, parfois sanguinaires, parfois loufoques, souvent totalement incompétents, qui ne servent qu’à défendre ses seuls intérêts, au détriment de ceux de leurs peuples. Oui, l’Europe doit enfin comprendre que son intérêt est désormais d’aider l’Afrique à se développer aussi, et non plus d’aller y puiser des ressources pour son seul développement. En Afrique francophone, on a longtemps parlé de ce que l’on appelle la « Françafrique » qui est une sorte de connivence entre les milieux politiques et d’affaires français, et des classes politiques africaines corrompues dont la seule fonction est de défendre les seuls intérêts de la France, en échange de son maintien au pouvoir.
En notre qualité de citoyens du monde, nous avons une communauté de destin, aussi bien au regard d’un passé souvent méconnu que nous partageons, que surtout d’un avenir plus serein à construire, en comprenant bien que le monde est devenu un ‘’village planétaire’’ du fait de la communication par les nouvelles technologies. La clôture des espaces humains est ainsi rendu vaine et il nous faut bien accepter cela et œuvrer pour une Europe meilleure, une Afrique meilleure pour un monde meilleur.
Je vous remercie.
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