Evêque catholique, France
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Évêque de Créteil, dans un diocèse, un département de 1 400 000 habitants où se côtoient 90 nationalités, des chrétiens de toute confession, protestants, orthodoxes, coptes, arméniens et catholiques, des croyants de différentes religions : juifs, musulmans, bouddhistes, chrétiens et aussi des non croyants qui se disent athés ou agnostiques, et tous ceux qui sont indifférents au religieux, vous comprenez tout de suite que vivre ensemble représente un vrai défi mais qui peut aussi s’avérer être une chance, une grande richesse.
1 – Le premier défit est de sortir de soit, de sa communauté d’appartenance culturelle et religieuse pour aller à la rencontre de l’autre, de ceux qui sont différents de moi par la langue, la culture, la couleur, la religion. Sans la rencontre, nous risquons de nous enfermer dans la peur et dans des préjugés sur nos frères et sœurs en humanité.
À Créteil, depuis cinq ans, pendant l’été nous vivons une opération qui s’intitule « Août Secours Alimentaire », car nous nous sommes aperçus que beaucoup de personnes ne partaient pas à la mer pour les vacances car ils n’en avaient pas les moyens, les ressources financières. La première année, les bénévoles qui, avant de distribuer les repas, vivaient un partage d’Évangile, ont distribué 30 000 repas (cette année en deux centres, plus de 100 000).
Parmi les bénéficiaires se trouvaient de nombreux musulmans venant d’Afrique ou des pays du Maghreb mais aussi des familles chrétiennes. Nous sommes alors allés à la rencontre de l’imam à la mosquée et nous lui avons proposé de nous mettre ensemble pour distribuer les repas aux plus démunis puisque parmi eux, se trouvaient des familles musulmanes.
Le diacre permanent en responsabilité m’a dit avoir entendu des réflexions négatives lorsque la deuxième année, des jeunes femmes musulmanes sont venues pour distribuer les repas. Mais à la fin du mois d’août, ces mêmes personnes sont revenues auprès du diacre pour s’excuser et ont dit que ces jeunes femmes voilées étaient très sympathiques et vivantes.
Lorsque j’en ai parlé à l’imam Hyacène, il a souri et m’a dit : « lorsqu’à la mosquée, nous avons demandé que des bénévoles viennent distribuer les repas au plus démunis, il y a eu aussi des réflexions : avec des chrétiens ! » À la fin du mois elles ont dit : « nous ne regarderons plus les chrétiens de la même manière ».
Allez à la rencontre de l’autre et se mettre ensemble au service des plus pauvres a enlevé les préjugés que les bénévoles avaient, au départ, les uns sur les autres.
2 - Le deuxième défit pour vivre ensemble est de ne pas en rester à des idées abstraites sur le dialogue mais de vivre ensemble des événements, de se mettre ensemble au service des plus démunis.
Les attentats qui se sont succédés : Charlie Hebdo, l’hyper casher, le Bataclan, Nice, l’assassinat du Père Jacques Hamel nous ont, paradoxalement, rapprochés entre juifs, chrétiens et musulmans. Je me souviens que deux jours après l’attentat contre les journalistes, à l’invitation du préfet nous nous sommes retrouvés au monument aux morts pour un temps de recueillement. Hyacène était effondré : « tout ce que nous faisons est démoli, je veux démissionner ». J’ai entendu sa profonde souffrance et lui ai dit avec force : « ce n’est pas le moment » et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre.
Après l’attentat au Bataclan, nous nous sommes retrouvés à la mosquée de Créteil, accueillis par le recteur et l’imam, avec le pasteur protestant, le rabbin et moi-même et nous avons pris la parole, chacun à notre tour. J’ai dit deux choses : que les musulmans n’avaient pas à porter la responsabilité des attentats aussi horrible et que chacun devait s’engager à poser sur l’autre , entre chrétiens et musulmans, entre juifs , chrétiens et musulmans, un regard d’estime.
Comme événement, j’ajoute aussi l’agression d’un jeune couple juif dont la jeune femme a été violée. En voiture, je me suis précipité, dès que j’ai entendu la nouvelle à la radio, à la synagogue ; le grand rabbin en a été profondément touché et nous avons parlé longuement. Le lendemain, nous nous sommes retrouvés à la synagogue avec nos amis juifs, le recteur de la mosquée, l’imam et moi-même et nous avons fait une déclaration commune.
Ils sont venus au service que j’ai présidé le 15 juillet à la cathédrale après les attentats de Nice mais ils étaient encore plus nombreux pour le service du 1er août, au retour des JMJ de Cracovie, pour le Père Jacques Hamel.
Ils étaient profondément choqués qu’on puisse s’attaquer à un prêtre de 87 ans en train de célébrer l’Eucharistie. Ils sont venus avec des branches d’olivier qu’ils avaient cueilli des oliviers de l’esplanade de la mosquée et les ont assemblées en un bouquet qu’ils nous ont offert en signe de paix et de compassion. Nous nous sommes donnés l’accolade en amis, en frères.
Nos relations ne font que s’approfondir au fur et à mesure que nous nous rencontrons, notamment à travers les rencontres « ensemble avec Marie » qui sont parties du Liban où chrétiens et musulmans fêtent ensemble Marie, le 25 mars, fête de l’Annonciation, l’annonce de la naissance de Jésus à Marie par l’ange Gabriel. Maintenant ces rencontres se généralisent en France et en Europe.
Le 31 mars 2016, la rencontre s’est vécue à la cathédrale où Monsieur Anouard Kbibech, président du conseil du culte musulman a dit que Marie était la créature la plus parfaite voulue par Dieu.
Le 23 mars 2017, la rencontre a eu lieu à la mosquée où les musiciens, comme à la cathédrale, ont chanté de magnifiques chants mais je n’aurais jamais imaginé parler du « cœur » de Marie à travers le récit de l’Annonciation dans l’Évangile de Luc, son abandon à la Volonté de Dieu, dans une mosquée pleine !
Maintenant, lorsque nous nous rencontrons à la mosquée pour le repas de l’iftar ou à l’église de Saint-Pierre pour ASA, nous ne sommes plus des étrangers mais des amis, des frères, nous trouvons que nos rencontres sont trop courtes.
Hyacine, lorsqu’il prend la parole en public ou Raffaëlo, quand il parle de moi, dit « notre évêque » et lorsqu’ensemble nous sommes venus, le 18 août dernier, encourager les bénévoles qui servent ensemble les repas et les familles bénéficiaires, en me regardant : « Michel, il nous faut aller encore plus loin ». J’ai répondu : « oui, ensemble, nous relèverons le défi. »
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