Stellvertretender Bürgermeister von Lyon, Frankreich
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Depuis 1987, la Communauté de Sant’Egidio a repris l’initiative du pape Jean-Paul II qui avait réuni à Assise l’année précédente des représentants des religions du monde, et organise chaque année une rencontre internationale pour la Paix, qui se tient dans une grande ville d’Europe (mais aussi à Jérusalem en 1995 et à Washington en 2005). C’est un véritable pèlerinage sur la longue et difficile route du dialogue et du respect entre les religions, de la rencontre et de l’amitié, pour la recherche de la paix dans le monde.
Benoît XVI a dit à propos de la rencontre interreligieuse d’Assise voulue par son prédécesseur qu’il revêtait « le caractère d’une vraie prophétie »
Le 27 octobre 1986 reste parmi les dates les plus importantes du long pontificat de Jean-Paul II, un tournant dans l’histoire des relations entre les religions, et en même temps, une prophétie. Dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui, celui de la guerre froide, de la tension Est-Ouest, mais celui de l’affirmation d’un intégrisme islamique avec l’arrivée au pouvoir de Khomeiny en Iran, le pape a voulu souligner la responsabilité politique et sociale des religions, y compris dans le domaine de la paix, donc dans les relations internationales, et il a ouvert la voie à des perspectives inédites. La rencontre des religions à Assise, autour du pape, inspirée par l’esprit de François, un lieu qui porte naturellement à la prière, est un moment clé d’une histoire de la paix. On a pu en parler comme d’un tournant dans l’histoire des relations entre les religions, même si cette initiative qui plongeait ses racines dans la déclaration conciliaire Nostra Aetate, dans la visite de Paul VI à Bombay le 3 décembre 1964 et dans son fameux discours à l’ONU le 4 octobre 1965, et plus loin, au Moyen Âge, dans diverses recherches de dialogue, de François d’Assise au Catalan Raimondo Lull et bien d’autres.
Dans son message pour la Paix du 1° janvier 1991, Se vuoi la pace rispetta la coscienza di ogni uomo, Jean-Paul II observait que,
« dans le monde d’aujourd’hui, il est rare que la population entière d’un pays appartienne à une même conviction religieuse ou à une même ethnie ou culture. Les migrations de masse et les mouvements de population conduisent à une société multiculturelle et multi religieuse dans différentes parties du monde. Dans ce contexte, le respect de la conscience de tous est une nouvelle urgence et présente de nouveaux défis à la société dans ses composantes et dans ses structures, tout comme aux législateurs et aux gouvernants. »
Dix ans plus tard, dans son message du 1° janvier 2001, Dialogo tra le culture per una civiltà dell’amore e della pace, il est revenu sur les difficultés liées à la cohabitation de cultures différentes sur les mêmes territoires :
« Il est plus difficile de dire jusqu’où arrive le droit des immigrés à la reconnaissance juridique publique de leurs expressions culturelles spécifiques, qui ne s’accommodent pas facilement avec les mœurs de la majorité des citoyens. La solution de ce problème, dans le cadre d’une ouverture substantielle, est à l’évaluation concrète du bien commun à un moment historique donné et dans une situation territoriale et sociale donnée. Beaucoup dépend de l’affirmation dans les âmes, d’une culture de l’accueil qui, sans céder à l’indifférentisme par rapport aux valeurs, sache mettre ensemble les raisons de l’identité et celles du dialogue ».
Jean-Paul II a, dans ces interventions, et dans tant d’autres, identifié un changement historique fondamental, qui s’est affirmé au siècle dernier, particulièrement après la Deuxième Guerre mondiale, et accéléré au cours des deux dernières décennies. Un changement qui le préoccupait beaucoup, d’autant plus que l’Europe connaissait un nouveau temps de peur : des conflits déchiraient à nouveau le continent (les Balkans), et une guerre d’un type nouveau se développait à l’intérieur même des nations européennes avec le terrorisme. Le développement des replis communautaires, la revendication agressive de sa propre identité, l’affirmation sur le plan politique de mouvements ou de partis extrémistes, témoignent de changement dangereux pour la paix sociale et pour la paix entre les nations. L’évolution de certaines régions à l’intérieur de pais membres de l’Union Européenne (la Flandre, la Catalogne) vers un nouveau nationalisme traduit ce retour de la peur, du refus de l’Autre, de l’altérité. Processus de globalisation et affirmation de l’identité – nationale, religieuse, ou ethnique - apparaissaient comme deux aspects d’un même mouvement.
Le grand défi historique actuel se situe dans le fait de devoir vivre dans la pluralité et avec l’altérité, avec une ampleur inédite, et une nécessaire adaptation sans précédent de la part de tous. La globalisation induit de fait, un dépaysement de l’individu, selon l’expression du sociologue Tzvetan Todorov, qui peut conduire à la recherche frénétique de ses propres racines, c’est à dire au fondamentalisme, alors que la vraie question est celle de l’acceptation de l’étrangeté, et du vivre, du vivre ensemble avec l’Autre, porteur d’une autre culture. Andrea Riccardi observe cette réalité :
« nous sommes immergés dans un monde au pluriel du point de vue religieux et ethnique. Malgré les terribles et actuels nettoyages ethniques, le XXI° siècle sera un temps de cohabitation entre personnes aux identités ethnico religieuses différentes».
Or l’Autre, porteur d’une culture différente est vu comme porteur d’incertitude, de nouveauté préoccupante, d’appréhension, celui qui peut être un ami, mais aussi un ennemi. L’étranger et l’ennemi. L’étranger pourrait être un ennemi. Dans l’Antiquité, les règles étaient claires : l’étranger n’était pas membre de la polis, de la Cité. Le pluralisme, avec les peurs liées à la globalisation, ouvre la porte aux conflits ethniques, religieux, aux manifestations de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. Le monde est entré dans une phase particulièrement dangereuse de son histoire avec l’émergence du terrorisme : l’autre n’est plus un ami, mais il devient potentiellement un ennemi. Il y a dix ans exactement, le 11 septembre 2001 a ouvert la voie à un danger terrifiant, confirmé depuis par de nombreux attentats (Madrid, Londres) et tentatives d’attentats en divers pays, dont l’objectif est de créer une psychose et de détruire le tissu de confiance et de solidarité. Aucune société, même unie et culturellement cohérente, ne peut fonctionner sans ces fondements. C’est encore plus vrai pour les sociétés multiculturelles. Confiance et solidarité sont ses deux poumons. Si le terrorisme, qui prend appui sur les différences culturelles et sur l’instrumentalisation de la religion, réussit à répandre insidieusement la peur, la méfiance, et donc la haine, alors la notion même de société multiculturelle serait perdue, et l’emporteraient tous les fondamentalistes. L’enjeu est là : le conflit de civilisation défini par Samuel Huntington, The Clash of Cicilizations, menacerait la société et au-delà, la paix entre les nations. Cela, les maîtres en terrorisme l’ont parfaitement compris : se servir des tensions naturelles entre les cultures pour empêcher toute possibilité de vivre ensemble. Au contraire, l’Esprit d’Assise traduit la volonté de se rencontrer et de cheminer ensemble pour construire un destin commun de paix.
À Assise, est né il y a vingt-cinq ans, un mouvement destiné à unir des hommes de toutes religions, de toutes les cultures, et même ceux provenant de l’humanisme athée, dans, disait Jean-Paul II, « un esprit de respect, d’amitié, de solidarité sur les valeurs fondamentales de l’homme ». Assise, qu’il définissait comme « le lieu que la figure séraphique de saint François a transformé en centre d’une fraternité universelle », François qui sut témoigner de la paix retrouvée avec toutes les créatures, et concrètement dans l’histoire, d’une rencontre pacifique et révolutionnaire en son temps, entre christianisme et islam.
En commentant lui-même la rencontre interreligieuse du 27 octobre 1986, Jean-Paul II dit :
« Il n’y a qu’un seul dessein divin pour tout être humain qui vient à ce monde, un unique principe et fin, quelle que soit la couleur de sa peau, l’horizon historique et géographique dans lequel il lui revient de vivre et d’agir, la culture dans laquelle il a grandi et s’exprime. Les différences sont un élément moins important par rapport à l’unité qui en revanche, est radicale, fondamentale et déterminante».
Dans son message pour la paix du 1° janvier 1999, Per costruire la pace rispettare le minoranze, le pape a défini deux « principes communs auxquels il n’est pas possible de déroger, et même qui doivent être placés à la base de toute organisation sociale ». Le premier est « l’inaliénable dignité de chaque personne humaine, sans distinctions relatives à son origine raciale, ethnique, culturelle, nationale ou à sa croyance religieuse » ; le second concerne « l’unité fondamentale du genre humain ». Il ajoutait dans ce même message, un commentaire très important pour souligner les responsabilités individuelles :
« L’obligation d’accepter et de protéger la diversité n’appartient pas seulement à l’État ou aux groupes. Chaque personne, comme membre de l’unique famille humaine, doit comprendre et respecter la valeur de la diversité parmi les hommes, et l’adapter au bien commun. Une intelligence ouverte, désireuse de connaître mieux le patrimoine culturel des minorités avec lesquelles il se trouve en contact, contribuera à éliminer les attitudes inspirées par les préjugés qui font obstacle aux saines relations sociales. »
À partir de 1987, dans ses messages à la Communauté de Sant’Egidio, il n’a jamais cessé de souligner la responsabilité personnelle des responsables des religions, et au-delà, de chaque croyant. Affirmer l’unité de la famille humaine signifiait en effet souligner une vision universaliste qui est une perspective d’avenir. C’est l’idéal du « frère universel » comme Charles de Foucauld le proposait à travers l’universalité de l’amour. La collaboration entre les religions et les cultures est la proposition contenue dans la parabole d’Assise.
Jean-Paul II a fait du dialogue une priorité. Il ne s’agissait évidemment pas de rechercher une forme de consensus, ni de prendre le risque du relativisme, mais de respecter l’altérité de l’interlocuteur dans son identité propre. Il ne s’agit pas de prier ensemble, mais les uns à côté des autres, et non plus les uns contre les autres, pour libérer, comme il le disait, des « énergies spirituelles ». Il n’y a rien à négocier, c’est seulement un moment spirituel partagé par des croyants de religions différentes, enracinés dans leur propre foi, autour du thème de la paix, pour mettre au premier plan l’énergie de la prière que Giorgio La Pira définissait comme « une énergie atomique ». Le dominicain Claude Geffré écrit :
« Aujourd’hui le dialogue interreligieux encouragé par le dernier concile est devenu une donnée majeures de l’expérience historique de l’Église au seuil du XXI° siècle », et il ajoute : « il ne vise pas une unité impossible, mais une acceptation mutuelle réciproque faite de respect et d’estime et une émulation réciproque des œuvres de bien».
Le XXI° siècle pourrait-il être un siècle sans violence, le siècle du vivre ensemble ? Les signes des temps au cours de la première décennie du siècle, sont hélas plutôt préoccupants. L’héritage du siècle passé est lourd. Le XX° siècle a inventé le crime de masse et la notion juridique de crime contre l’humanité. Andrea Riccardi ouvre son livre Vivre ensemble à Kigali, et conduit le lecteur au Kigali Memorial Centre. Le XX° siècle est une longue litanie d’horreurs, qui s’ouvre avec le génocide arménien et finit avec des massacres dans les Balkans, en passant par le crime absolu qu’est la Shoah, l’URSS staliniste, la Chine maoïste, le Cambodge de Pol Pot. Riccardi raconte dans son livre de nombreuses histoires de « divorces entre les peuples », liés à l’exaltation de la Nation, unie, sans présences exogènes, des nations qui s’unissent contre l’étranger considéré comme l’ennemi, mais aussi l’ennemi de l’intérieur.
Le XX° siècle a été trop souvent le siècle de la pureté du sang, de l’uniformisation, de la simplification, mais en même temps, celui de la globalisation et des mouvements, parfois dans des conditions dramatiques, de populations. Le monde dont nous héritons est paradoxal : l’Europe est toujours plus diverse, tandis que le Sud et l’Est de la Méditerranée sont de plus en plus homogène, après l’exil des juifs, et aujourd’hui la persécution des chrétiens ; le monde comme village global, le cosmopolitisme, mais aussi le repli identitaire, la recherche frénétique de sa propre identité. Déjà dans les années 1960, le patriarche de Constantinople Athénagoras, observait avec un grand discernement :
« d’une part […] l’avènement de l’homme planétaire dans une société qui devient mondiale ; de l’autre, peut-être pour fuir le caractère impersonnel de la civilisation industrielle, chaque peuple s’arc-boute sur son originalité ».
Alors, le conflit comme destin de l’humanité ? Les perspectives tracées par les rencontres internationales de Sant’Egidio, chaque année, aujourd’hui à Munich, sont mobilisatrices. On peut en identifier quatre.
Se connaître : il s’agit de voir en l’autre un ennemi ou bien de comprendre la réalité de la diversité ; se rencontrer signifie approfondir la connaissance de l’autre, son histoire, sa culture, sa mentalité, ses modes de vie ; la connaissance est incontestablement le passage indispensable pour un monde de paix. Il faut connaître les raisons profondes des haines, comprendre d’où elles viennent pour les dépasser.
Établir des liens de solidarité entre les continents, définir l’Eurafrique comme une communauté de destin, construire un monde de confiance, d’amitié, lutter contre toutes les formes de pollution. En ce sens, la construction de l’Europe depuis 1950, est un exemple, un modèle. Elle signifie qu’après tant de siècles de conflits et de haine, la réconciliation est possible ; l’Europe unie, même si elle rencontre bien des problèmes de fonctionnement, donne un extraordinaire message d’espérance.
Se parler, organiser le dialogue entre tous, les uns avec les autres, accepter et faire accepter la pluralité, cela est de la responsabilité de tous, responsables politiques, dirigeants, chefs religieux, citoyens ordinaires, croyants.
Faire émerger enfin une culture commune, partagée, la culture du bien commun, la civilisation de l’homme, la civilisation où la personne humaine se trouve au centre de toute construction.
Conclusion
L’Esprit d’Assise, comme nous l’entendons à la suite de l’initiative de Jean-Paul II, remonte à vingt-cinq ans, et on n’a certainement pas mesuré tous ses effets. Pourtant, on peut mesurer les progrès notables dans le domaine de l’œcuménisme à travers des signes nombreux et des faits (accords entre anglicanisme et catholicisme, voyages du pape en Roumanie en 1999, conséquence directe de la Rencontre pour la paix organisée par la Communauté de Sant’Egidio à Bucarest en 1998, voyage en Grèce en mai 2001, contacts réguliers de Rome avec le Patriarcat de Constantinople, échanges fréquents, même s’ils restent difficiles, au niveau de métropolites et de cardinaux entre le Saint-Siège et le Patriarcat de Moscou, contacts nombreux entre chrétiens et musulmans, développement du concept de trialogue entre chrétiens, juifs et musulmans. Rien n’est simple, beaucoup dépend des événements extérieurs (comme la stratégie de la terreur, les événements du Moyen-Orient), et de la capacité des responsables politiques de gérer des situations sensibles sans s’abandonner à la tentation du populisme et de la démagogie. Mais à la base, il y a la responsabilité des croyants et des religions qui doivent toujours affirmer que seule la paix est sainte, que la guerre n’est pas sainte, et prendre en charge l’ambition d’une nouvelle culture, d’une nouvelle citoyenneté, d’un nouvel humanisme, d’une spiritualité de la paix. Plus de trois ans avant Assise, dans son message pour la Paix du 1° janvier 1983, Jean-Paul II avait défini le dialogue comme :
« une reconnaissance de la dignité inaliénable des hommes […], un pari sur leur vocation à cheminer ensemble, avec continuité, par le moyen d’une rencontre des intelligences, des volontés, des cœurs, vers le but que le Créateur leur a fixé : rendre la terre habitable pour tous et digne de tous ».
L’Esprit d’Assise pourrait alors être défini à travers le refus de la fatalité, du pessimisme et de la peur qui trop souvent devient résignation et impuissance, qui conduit à accepter la violence. Mais l’Esprit d’Assise, c’est aussi un appel à la responsabilité des religions et des croyants à s’ouvrir à tous les hommes et les femmes de foi, à séparer radicalement la religion de la guerre, à désolidariser les traditions religieuses des instincts de violence, à faire au contraire de la religion un solide facteur de paix en soulignant ce qui est en commun, une certaine idée de l’homme, le message de paix, l’universel.
L’Esprit d’Assise propose donc un dialogue libre, sans préjugés, fondé sur le respect, la patience et l’amitié, mûri dans la prière.
Vingt ans après la grande intuition de Jean-Paul II, poursuivre sur cette voie est significatif d’un mode d’approche des problèmes à partir de l’homme, en Dieu. Les difficultés que le monde traverse, les drames vécus par bien des populations à travers le monde, et en particulier par les chrétiens, objets partout, de discriminations, voire de persécutions, ne doivent pas décourager de maintenir toujours le cap sur la recherche d’une paix dont on sait combien elle est fragile. Saint François, et après lui, toute une cohorte de saints à travers l’histoire, jusqu’à aujourd’hui, n’ont jamais varié de cette voie-là. Ce choix fidèle à la Parole de Dieu est au cœur des messages délivrés par Benoît XVI depuis le début de son pontificat. Dans son homélie à la Messe de Noël le 24 décembre 2010, il dit :
« Cette joie [de la Nativité], est aussi une prière : Seigneur réalise totalement ta promesse. Brise les bâtons des tortionnaires. Brûle les chaussures bruyantes des soldats. Fais que finisse le temps des manteaux couverts de sang. Réalise la promesse : « La paix sera sans fin » (Is 9, 6). Nous te rendons grâce pour ta bonté , mais nous te prions encore : montre ta puissance. Établis dans le monde la domination de ta vérité, de ton amour – le « royaume de la justice, de l’amour et de la paix. »
A Naples, en 2009, le pape avait déclaré :
« Il est important de répéter que jamais les religions ne doivent devenir véhicules de haine. Jamais en invoquant le nom de Dieu, on ne doit arriver à justifier le mal et la violence ».
Pour lui, le dialogue entre les religions est bien « une haute priorité » comme il le rappela aux évêques des Philippines en visite à Rome, en mars 2011. |