Pasteur de l’Eglise Réformée, France
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La déclaration sur la relation de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, ‘Nostra Aetate’, bien que n’étant qu’une déclaration conciliaire, datée du 28 octobre 1965, c'est-à-dire de la dernière session du Concile Vatican II, n’en est pas moins l’un des textes les plus marquants de ce Concile. ‘Texte d’étape’ dira Mgr Deniau, qui ‘n’a pas la valeur, ni l’autorité d’une Constitution’, mais qui, justement, ‘est ouvert à des développements postérieurs’. C’est un texte marquant précisément parce qu’il a ouvert au dialogue, je devrais dire aux dialogues (au pluriel).
Rappelons comment est construit ce texte de seulement cinq brefs chapitres :
Le premier indique ce qui est commun à tous les hommes : « Tous les hommes forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre ; ils ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous, jusqu’à ce que les élus soient réunis dans la cité sainte, que la gloire de Dieu illuminera et où tous mes peuples marcheront à sa lumière. »
Et ce chapitre se poursuit par un paragraphe essentiel, à mes yeux :
« Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, troublent profondément le cœur humain : Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens et le but de sa vie ? Qu’est-ce que le bien et qu’est-ce que le péché? Quels sont l’origine et le but de la souffrance ? Quelle est la voie pour parvenir au vrai bonheur ? Qu’est-ce que la mort, le jugement et la rétribution après la mort ? Qu’est-ce enfin que le mystère dernier et ineffable qui entoure notre existence, d’où nous tirons notre origine et vers lequel nous tendons ? »
Suivent trois chapitres consacrés respectivement ‘aux diverses religions non-chrétiennes’ (entendez principalement l’hindouisme et le bouddhisme), à ‘la religion musulmane’ et à ‘la religion juive’. Puis un dernier chapitre s’intitule ‘La fraternité universelle excluant toute discrimination’.
Des mots forts marquent ces chapitres : ne rien rejeter de ce qui est vrai et saint dans ces religions, le dialogue et la collaboration, l’estime, la nécessaire compréhension mutuelle, et la réprobation à l’égard de toute discrimination ou vexation opérée envers des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur classe ou de leur religion…
C’est le chapitre 4, concernant la religion juive, qui a fait le plus parler de lui. Il venait pour une bonne part de l’initiative personnelle de Jean XXIII. Tout au long du Concile, il a fait l’objet de débats intenses pour savoir où il devait figurer. Il a finalement été adopté par 2281 voix contre 88. Les pères conciliaires y ont vu un fruit de l’Esprit Saint.
La déclaration conciliaire, comme je l’ai dit plus haut, n’est qu’un texte d’étape, ‘plus un commencement qu’un aboutissement. Elle marque un tournant dans l’attitude chrétienne à l’égard du judaïsme. Elle ouvre une voie et nous permet de prendre l’exacte mesure de notre tâche…. Son principal défaut, comme cela était dit récemment à un colloque de l’institut Supérieur d’Etudes Œcuméniques, est que ce qui est consacré par le concile à la religion juive ‘se trouve dans la déclaration sue les religions non-chrétiennes, alors que le judaïsme est au moins « une religion pré-chrétienne » et le christianisme un judaïsme offert à tous’.
Mais il est temps de répondre à la question d’aujourd’hui : Est-ce que le dialogue a encore un avenir ?
Je le fais en trois points :
1. Le dialogue inter religieux avait de loin précédé Vatican II
Pour le protestantisme, s’il a commencé bien avant ce que je vais évoquer, la Conférence de Seelisberg en 1947 qui élabore dix thèses pour contribuer à éradiquer les préjugés contre les juifs, la création de l’amitié judéo-chrétienne en 1948, l’assemblée d’Amsterdam du Conseil Œcuménique des Eglises en 1948 sont des moments marquants de prise de conscience et d’engagement contre l’antisémitisme.
Pour le catholicisme, si des personnalités nombreuses participent à ce mouvement, la doctrine de la substitution qui considère l’Eglise comme le ‘vrai Israël’ demeure jusqu’au Concile de Vatican II.
2. Mais c’est le Concile qui change la donne en profondeur. Les grands textes du Concile en sont tous témoins.
Je citerai : Lumen Gentium 16: « Enfin, quant à ceux qui n’ont pas encore reçu l’Evangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés au peuple de Dieu et, en premier lieu, ce peuple qui reçu les alliances et les promesses et dont le Christ est issu selon la chair, peuple très aimé du point de vue de l’élection, à causes des pères, car Dieu ne regrette rien des dons ni de son appel ».
Mais aussi Dei Verbum 14-15-16, qui redonne toute sa place à l’Ancien Testament.
Et Gaudium et Spes 22 : « Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ mais bien pour tous les hommes de bonne volonté… »
Et Dignitatis humanae sur la liberté religieuse.
Ce qu’il importe d’entendre ici, c’est l’impulsion donnée par le Concile à un dialogue judéo-chrétien qui n’ira qu’en s’amplifiant et qui marquera les cinquante ans à venir de textes et de rencontres que nous avons tous en mémoire avec Jean-Paul II à la Synagogue de Rome, à Mayence, à Varsovie ou à Yad Vashem ; le Cardinal Lustiger à Auschwitz, ou Benoit XVI recevant les deux Grands Rabbins d’Israël
De leur côté, les Eglises protestantes d’Europe produisent un texte majeur en 2001 « Eglise et Israël » qui est une véritable étude théologique qui particulièrement rappelle que la théologie de la substitution est fausse, dénonce la mission envers les juifs et énonce la solidarité qui lie les Eglises à Israël.
3. Ainsi sont créées les conditions pour que se poursuivent les dialogues. J’en donne quelques grandes lignes :
Il faut tout d’abord assumer notre histoire, faite de condamnations, d’exclusions, de persécutions ; bref reconnaitre les erreurs du passé, tout à la fois pour ne pas y retomber et aborder les dialogues contemporains avec humilité, en étant prêts à corriger de nouvelles erreurs toujours possibles. Il faut aussi affronter des incompréhensions de nos contemporains pas toujours prêts à de telles démarches.
Il faut qu’explicitement ces dialogues ne visent pas à convaincre l’autre de son ‘erreur’, mais cherchent la compréhension mutuelle, la possibilité d’apprendre de l’autre. Il est comme moi un chercheur de la vérité divine pour conduire sa vie ; même si le chemin que j’emprunte est différent du sien, il a quelque chose à m’apprendre et j’ai quelque chose à lui offrir.
Avec le judaïsme et l’Islam, nous avons en commun la foi en un Dieu unique. ‘Sa vérité dépasse tous nos modes de penser et de compréhension humaine ainsi que nos désirs les plus profonds de nous conformer à sa volonté. Nous appréhendons cette vérité de manière multiple et fragmentaire. Cette reconnaissance devrait nous amener à être humbles, tolérants et accueillants les uns aux autres, nous enlever tout sentiment de supériorité et nous inciter à chercher plus ardemment la volonté et la gloire de Dieu pour toute sa création’ .
Avec les autres religions, c’est leur démarche de spiritualité qui doit nous apprendre à faire progresser les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles qui se trouvent en elles.
Comme l’indiquait ‘Nostra Aetate’ : « Les hommes attendent des diverses religions la réponse aux énigmes cachées de la condition humaine, qui, hier comme aujourd’hui, troublent profondément le cœur humain ».
En ces quelques mots, la route est tracée pour un dialogue permanent, ayant toujours besoin d’être renouvelé car il a pour objet de répondre ‘aux énigmes cachéesde la condition humaine’.
Jean-Arnold de Clermont, pasteur,
Sarajevo, Septembre 2012.
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