A l’erreur d’une culture de l’affrontement il faut opposer la valeur du dialogue, basé sur les rails solides de la vérité, cette vérité qui engendre la paix. Voilà le cœur du message de Benoît XVI, signé par le Cardinal secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone, adressé au Cardinal Vinko Puljic, archevêque de Sarajevo, où a débuté dimanche la rencontre mondiale interreligieuse à l’initiative de Sant’Egidio.
Des centaines de responsables religieux de toutes les confessions et des personnalités du monde de la culture et de la politique, venus d’une soixantaine de pays sont réunis jusqu’à mardi à Sarajevo, ville symbole de l'histoire contemporaine. Ils participent à un congrès international organisé par la Communauté de Sant’Egidio, en collaboration étroite avec les autorités musulmanes, orthodoxes, catholiques et juives de Bosnie-Herzégovine. La rencontre a d’ailleurs commencé dimanche par un geste extraordinaire de réconciliation : le patriarche serbe-orthodoxe Irénée à participé à l’eucharistie catholique dans la cathédrale de Sarajevo.
Benoît XVI qui avait reçu en audience samedi les fondateurs de Sant’Egidio a fait parvenir un message d’encouragements aux congressistes. Le Pape met en garde contre deux forces négatives qui menacent la paix : l’instrumentalisation violente de la religion d’une part et d’autre part le refus de Dieu qui caractérise les sociétés sécularisées.
« L’instrumentalisation de la religion comme motif de violence et le « non » à Dieu au nom d’une vision sécularisée de l’homme mettent en péril la paix », écrit le Pape, qui rappelle ce qu’il avait déjà développé à Assise, à savoir combien les effets combinés de ces deux forces négatives avaient fait des ravages à Sarajevo, où la guerre il y a 20 ans a porté mort et destruction.
A Assise, Benoît XVI avait parlé de l’alliance entre croyants et laïcs à la recherche de la vérité et de la paix, un message qu’il relance aujourd’hui à l’occasion de cette rencontre de Sarajevo, où la présence de personnes de différentes religions peut favoriser le message de paix, qui « a besoin d’être soutenu par des cœurs et des esprits qui cherchent la vérité, s’ouvrent à l’action de Dieu, tendent les mains aux autres ».
Les menaces du terrorisme, les guerres qui ensanglantent le monde. Plus que jamais nous avons besoin de paix. Le Pape, dans son message, pense donc au Proche-Orient, à la dramatique situation en Syrie, et au tout prochain voyage au Liban, en souhaitant que la réconciliation et la tranquillité puissent arriver dans ces régions.
L'attachement du peuple serbe à la construction de la paix
Les leaders des communautés chrétiennes orthodoxe et catholique, ainsi que des communautés musulmane et juive de Bosnie ont lancé ce dimanche 9 août à Sarajevo un appel à la paix. En soulignant l'"attachement du peuple serbe à la construction de la paix", le patriarche de l'Eglise orthodoxe serbe, Mgr Irinej, a souhaité que l'avenir des peuples des Balkans soit "libéré des expériences tragiques et douloureuses du passé".
"Je souhaite profondément que les nouvelles générations évoluent sans le sentiment de haine et qu'elles soient protégées de la terrible expérience des conflits", a dit le leader de l'Eglise orthodoxe serbe, en s'exprimant devant plusieurs milliers de personnes assistant au lancement des rencontres annuelles de la communauté catholique Sant'Egidio.
"Pour que l'être humain soit encore plus humain"
Plus tôt dans la journée de dimanche, Mgr Irinej a célébré une messe dans la principale église orthodoxe de Sarajevo. L'archevêque de Sarajevo, le cardinal Vinko Puljic, et plusieurs membres du clergé local, était présents lors de cette célébration. "Je suis ravi de pouvoir assister à cette prière pour la paix, pour que l'être humain soit encore plus humain, pour que notre société soit plus morale et je vous remercie de cette unité", a lancé le prélat.
Plusieurs centaines de fidèles ont assisté à la liturgie, nombre d'entre eux dans la cour de l'église, située dans le centre de Sarajevo, où la cérémonie était retransmise sur un écran géant. La veille, Mgr Irinej et plusieurs avait assisté à une messe célébrée par Mgr Puljic dans la cathédrale de Sarajevo.
Le fondateur de Sant’Egidio appelle à la compassion pour toutes les victimes
Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant'Egidio et actuel ministre italien de la Coopération internationale et de l'intégration, a invité les communautés locales à la compassion pour toutes les victimes de la guerre des Balkans. "Soyons honnêtes, les souvenirs sur la guerre sont différents, mais la douleur et la souffrance qui rongent tout le monde sont les mêmes. La douleur est gravée dans le coeur de tous et la douleur de chaque mère est la même, indépendamment de son appartenance ethnique ou religieuse", a dit M. Riccardi.
La guerre intercommunautaire de Bosnie (1992-95), qui avait opposé les communautés serbes, croate et musulmane, a fait quelque 100.000 morts. Sur environ 3,8 millions d'habitants en Bosnie, on compte aujourd'hui environ 40% de musulmans, 31% de chrétiens orthodoxes et 10% de chrétiens catholiques.
La crise affecte les fondations humanistes européennes
En soulignant qu'"il n'y a jamais eu à Sarajevo autant d'énergie spirituelle comme aujourd'hui", le leader de la communauté musulmane de Bosnie, Mustafa Ceric, a évoqué les victimes du conflit bosnien et notamment celles du siège de Sarajevo, qui a fait quelque 11.000 morts en près de quatre ans.
Mario Monti, le chef du gouvernement italien, et Herman Van Rompuy, le président de l'Union européenne, étaient également présents dimanche à l’inauguration de la rencontre. "La crise affecte les fondations humanistes autour desquelles l'Europe s'est bâtie et développée", a déclaré le président du Conseil italien. "L'euro qui était un facteur de cohésion (...) risquait et risque encore, peut-être de façon paradoxale, de devenir un facteur de divisions, de nouvelles fractures en Europe", a poursuivi le chef du gouvernement italien.
Pour la première fois toutes les religions ont participé à l'organisation
Les blessures dans la société bosniaque ne sont pas toutes cicatrisées – reconnaît le président de Sant’Egidio, Marco Impagliazzo. Et pourtant, les différentes communautés religieuses ont participé, dans la sérénité, à la préparation de cet événement : le patriarche orthodoxe serbe de Belgrade, le Grand Mufti de Bosnie, l’archevêque catholique de Sarajevo, le cardinal Puljic, le chef de la communauté juive, côte à côte, pour la première fois depuis vingt ans : c’est le signe que les choses peuvent changer et c’est un message pour la population.
Au moment de la guerre, les catholiques ont quitté en masse la Bosnie, une véritable hémorragie. Aujourd'hui, Sarajevo est une ville qui s’islamise et qui perd, chaque jour un peu plus, son caractère pluraliste. La communauté de Sant’Egidio veut aussi profiter de cette rencontre pour redire que la minorité catholique a les mêmes droits que les autres religions et qu’elle a toute sa place dans ce pays. Il s’agit aussi de montrer que les Balkans ont leur place en Europe et qu’ils peuvent devenir un modèle de convivialité.
Espoirs pour Sarajevo, inquiétude pour la Syrie
28 tables-rondes ont été organisées sur les thèmes de l’œcuménisme, de l’immigration et de la paix jusqu’à la clotûre mardi de la renconter. La situation en Syrie et l’imminent voyage de Benoît XVI au Liban seront bien présents dans tous les esprits.
Ces rencontres sont organisées dans le sillage de la rencontre interreligieuse d’Assise voulue par Jean-Paul II en 1986. Parce qu’on ne peut pas vivre dans la haine et dans la peur, Sant’Egidio veut reconstruire le vivre-ensemble dans l’esprit d’Assise.
Paolo Ciani, de la Communauté, revient sur cette rencontre de Sarajevo :
Propos recueillis par Nadège Decremps