Le souvenir des 11 541 victimes du siège de Sarajevo entre 1992 et 1995 a été intensément présent dimanche 9 septembre tout au long de la cérémonie d’ouverture de la 26
e rencontre annuelle pour la paix,
organisée par la communauté de Sant’Egidio dans l’ex-ville martyre, 20 ans après le début de la guerre dans l’ex-Yougoslavie.
Dès avant l’ouverture officielle de la rencontre, deux cérémonies religieuses avaient manifesté le désir ardent des différentes confessions religieuses de s’unir pour la paix.
Samedi 8 septembre, à 18 heures, le patriarche de l’Eglise orthodoxe serbe Mgr Irinej avait assisté à une messe célébrée par
le cardinal Vinko Puljic, archevêque de Sarajevo dans la cathédrale de Sarajevo. Devant l’église, une foule nombreuse se massait devant un écran géant, en plein cœur de la vieille ville, dardée par les rayons d’un soleil encore estival.
Le lendemain matin, dimanche 9 septembre, c’était au tour du patriarche de recevoir l’évêque catholique dans la principale église orthodoxe de Sarajevo. Tour à tour, les deux ecclésiastiques ont lancé un appel à la paix dans une ville qui reste comme le symbole du conflit le plus atroce vécu par l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
« Nous devons porter en nous des graines de la paix et les semer partout où nous nous trouvons. L’Église nous demande d’aimer chaque créature divine, car chaque être humain est une icône divine. Respecter tout être humain est notre devoir parce qu’il est l’œuvre des mains de Dieu », a affirmé Mgr Irinej.
Des messages empreints de chaleur et d’implications personnelles
« Je suis ravi de pouvoir assister à cette prière pour la paix, pour que l’être humain soit encore plus humain, pour que notre société soit plus morale et je vous remercie de cette unité », a lancé pour sa part l’archevêque de Sarajevo.
Tous deux étaient présents dans l’après-midi à la tribune pour la soirée d’ouverture de la 26
e rencontre annuelle pour la paix de la communauté de Sant’Egidio, en compagnie d’
Andrea Riccardi, son fondateur, aujourd’hui ministre italien de la coopération internationale et de l’intégration, de Katerine Marshall, de l’université de Georgetown (États-Unis), de Mustafa Ceric, grand mufti de Bosnie-Herzégovine et de Jacob Finci, président de la communauté juive du pays.
La communauté, née en 1968 en Italie et qui mène désormais des actions de charité et de médiation politique dans 30 pays dans le monde, avait également convié Mario Monti, président du Conseil des ministres italien, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen et Jeannot Ahoussou-Kouadio, premier ministre de Côte d’Ivoire.
Durant deux heures, se sont alors succédé messages et déclarations, empreints d’une chaleur et d’une implication personnelle, assez peu habituels dans ce genre de séminaires internationaux. Comme si le souvenir de l’horreur vécue ici même il y a moins de vingt ans interdisait les propos trop convenus et encourageait chacun à engager sa voix dans le combat pour la paix, alors que la guerre en Syrie s’inscrivait forcément dans tous les esprits des milliers de personnes présentes dans le vaste hall d’exposition d’un quartier de Sarajevo.
Chacun des propos entendus dimanche 9 septembre dans une ambiance que les notes d’un quatuor à cordes en prélude et en intermède avaient contribué à rendre encore plus recueillie, a semblé répondre au message du cardinal Tarcisio Bertone, secrétaire d’État, s’exprimant pour le pape et lu à l’assistance. Comment empêcher que se reproduisent les horreurs commises, souvent au nom de la religion, entre 1992 et 1995 dans cette terre qui se distingua longtemps par son pacifisme et incarna un modèle de cohabitation entre les différentes confessions ? « La paix, a écrit le cardinal Bertone, est menacée par l’exploitation de la religion à des fins violentes et par le rejet de Dieu d’une société totalement sécularisée. L’effet conjugué de ces deux forces négatives a été expérimenté dans des proportions tragiques à Sarajevo. »
« Aujourd’hui, dans cette ville, s’est-il réjoui, un message de paix peut s’élever grâce à la rencontre d’une multitude d’hommes et de femmes de différentes religions. La paix a besoin d’être soutenue par des cœurs et des esprits qui cherchent la vérité, s’ouvrant à l’action de Dieu et tournant leurs mains vers les autres. »
De la même façon, le grand imam de Bosnie-Herzégovine Mustafa Ceric a insisté pour que les générations actuelles tirent les leçons de la tragédie de Sarajevo.
Exprimant sa profonde gratitude à la communauté de Sant’Egidio d’avoir choisi cette année Sarajevo comme « cité mondiale de la paix », il a estimé que les victimes innocentes du siège de la ville méritaient, plus encore « que notre respect et nos condoléances », « nos efforts communs pour la vérité, la justice, la paix et la réconciliation".
Herman Van Rompuy : « Seule l’Europe peut nous apporter la paix »
Dans une magnifique intervention, le fondateur de la Communauté de Sant’Egidio Andrea Riccardi, s’est livré à une défense et illustration du thème de la rencontre : « Vivre ensemble, c’est l’avenir ».
« Beaucoup d’entre vous pensent que je vais me référer à l’histoire de la Bosnie-Herzégovine parce que nous sommes ici à Sarajevo, a-t-il commencé. Eh bien pas seulement. Vivre ensemble entre des personnes différentes n’est malheureusement pas un problème réservé à cette belle ville. C’est un défi universel. »
« Seule l’Europe peut nous apporter la paix. Nous ne pourrons rien faire sans elle. C’est la leçon que nous a donnée l’Histoire », a martelé Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, montrant combien le maintien d’une coexistence harmonieuse entre les cultures et les religions devait être l’unique objectif des peuples. À l’appui de sa démonstration, il cita l’histoire de
la Haggadah de Sarajevo, l’un des plus précieux manuscrits écrits en hébreu.
Cette Haggadah a suivi les juifs dans leur exil et, durant des générations, elle fut perdue de vue. Elle réapparut à la fin du XIXe siècle, lorsqu’un enfant juif de Sarajevo, dont le père venait de mourir, l’a apportée à son école pour la vendre afin de nourrir sa famille. Conservée au musée de la ville, elle a fait l’objet de soins particuliers de la part des autorités bosniaques durant le siège de Sarajevo. De même, elle fut protégée par un Bosniaque musulman, Dervis Korkut, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Quelques minutes avant l’intervention de Herman Van Rompuy, la Haggadah de Sarajevo fut remise par l’imam Ceric au rabbin Finci. Une longue salve d’applaudissements accueillit ce geste symbolique, illustration de l’esprit d’Assise que perpétue chaque année la rencontre de Sant’Egidio.