Le discours de François.
Pour le pape, l’intégration est le processus clé
Par Andrea Riccardi
Le pape François parle des migrants dans un langage qui n’est pas à l’unisson de la majorité des gouvernements européens. Surtout pas de ceux qui considèrent la fermeture comme une défense de l’identité chrétienne et nationale. Les accusations portées contre le pape de défendre les « damnés de la terre » mais d’ignorer les raisons des Etats ne sont pas nouvelles. Le pape, pour sa part, est convaincu que les migrations constituent un phénomène historique qu’il convient de gérer avec humanité et clairvoyance : « accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » — ce sont les quatre verbes autour desquels gravite le message pour la journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, présenté hier. Le texte rappelle la valeur de la personne migrante et ses droits reconnus au niveau international, comme lorsque le pape écrit : « Les expulsions collectives et arbitraires de migrants et de réfugiés ne constituent pas une solution adéquate, surtout lorsqu’elles sont exécutées vers des pays qui ne peuvent pas garantir le respect de la dignité et des droits fondamentaux ».
C’est ici le Saint-Siège qui parle, loin d’être utopiste et bien au fait du droit international. Nombreuses sont les propositions dans ce texte pensé : les « programmes de patronage privé et communautaire » et les « corridors humanitaires pour les réfugiés les plus vulnérables » (que l’Italie a été la première à ouvrir en Europe pour les Syriens) ; les « visas temporaires spéciaux » pour les personnes qui fuient la guerre, comme les réfugiés syriens et irakiens souvent sans statut dans les pays limitrophes. Le pape demande l’ouverture de voies légales, unique solution pour combattre la mafia des passeurs. Il ne s’agit pas seulement d’une invitation « chrétienne » à l’accueil, mais d’une vision de l’Europe en crise démographique. En avril, François a employé une expression forte : « Nous sommes dans la civilisation qui ne fait pas d’enfants, mais nous fermons aussi la porte aux migrants. Ceci s’appelle un suicide ». Jorge Bergoglio est un Argentin qui se souvient de la formation de son pays dans le creuset des migrations. Il a dit dans un discours important prononcé à l’Université Rome Trois : « Les migrations ne sont pas un danger, elles sont un défi pour grandir. Celui qui le dit vient d’un pays composé à plus de 80 % de migrants, un pays métissé ». En regardant l’histoire européenne, le pape a remarqué que celle-ci s’est développée dans le creuset ethnique : « Je me le demande : combien d’invasions l’Europe a-t-elle connues ? ».
Dans la pensée de François, l’intégration est le processus clé. Dans son message, il insiste sur le « droit à une nationalité à la naissance » pour les enfants de migrants, qui favorise l’intégration ; il invite à des processus de régularisation des personnes résidant depuis longtemps dans le pays pour éviter les ghettos de marginalisation. L’élargissement des regroupements familiaux est une étape décisive dans cette perspective. Au sujet de l’immigration, chaque jour apporte ses nouvelles polémiques et ses débats passionnés. Il y a peu de réponses réelles. Ce message en propose quelques-unes pour sortir de l’impasse qui produit de l’illégalité et de l’inhumanité. Le pape est surtout convaincu que les intérêts de ceux qui frappent à la porte de l’Europe ne sont pas contraires à ceux des Européens et il nous met au défi de mieux les comprendre : « Il n’est pas humain de fermer les portes, de fermer le cœur, à la longue, cela se paie », a-t-il déclaré dans une conférence de presse. Le message témoigne d’une vision à « long terme » de l’histoire. On pressent, en effet, toute l’étroitesse des perspectives nationales face à un phénomène aussi vaste alors même qu’il pourrait être, au contraire, une grande occasion de faire mûrir une politique européenne.
Il Corriere della sera, 21 août 2017 |