Dans nombreuses sociétés, les religions sont interprétées tantôt comme éléments d’immobilisme et tantôtcomme éléments de division. De toute façon, les religions sont en retard par rapport à la société toujours en évolution. Qu’en pensez-vous ?
La conception de la religion et son rôle dans le monde moderne est mal interprété. Cette mauvaise interprétation a pour cause certaines tendances qui visent à mettre fin à tous les aspects religieux dans la vie publique. Ceci représente, en effet, une atteinte à la liberté de croyance des citoyens. L’expérience et les événements historiques prouvent que la religion était, et reste encore, la principale composante de la structure culturelle et civilisationnelle de toute l’humanité. En outre, ces événements historiques prouvent que les valeurs religieuses faisaient partie, et elles le sont encore, des solutions et non pas des causes des problèmes et des crises qu’affronte l’humanité.
D’ailleurs, le patrimoine humain prouve que l’Islam n’était pas – et ne sera jamais – une religion immobile et inflexible. C’est pourquoi, vivre aujourd’hui conformément aux principes de l’Islam n’exige pas le retour au Moyen-âge et n’exige pas non plus de nous dépouiller de notre identité. En vérité, l’Islam n’ordonne pas à ses adeptes d’abandonner leurs propres cultures pour devenir musulmans, ce qui justifie cet afflux des réalisations culturelles, artistiques, scientifiques et civilisationnelles dont nous sommes témoins aujourd’hui. Réalisations qu’on peut qualifier d’islamiques et dont nous, les Musulmans, sommes fiers aujourd’hui. Cette flexibilité ne représente pas seulement un trait caractéristique de la production culturelle musulmane ; mais également du patrimoine islamique. Plus encore, elle représente l’un des traits caractéristiques de la charia. Auparavant, la jurisprudence musulmane (fiqh) reflétait une diversité intellectuelle énorme. A cette époque, on a assisté à l’apparition de nombreuses écoles de fiqh. Aujourd’hui, au 21ième siècle, il y a une opportunité de retour à ce patrimoine dans le but d’y chercher ce qui pourrait nous profiter dans notre vie contemporaine. Ce retour doit être pris en compte comme première étape d’émission d’une fatwa. En effet, la fatwareprésente un élément important que l’on doit prendre en compte dans l’essai de bien comprendre la relation entre l’Islam et le monde moderne. Car les muftis, en matière de fatwa, ne se réfèrent pas seulement au patrimoine juridique de l’Islam ; mais doivent bien comprendre la réalité vécue des Musulmans afin de ne pas émettre des jugements religieux en rupture avec le réel vécu. Ainsi, la fatwa et les muftis établissent, en réalité, le pont de contact entre le patrimoine intellectuel et juridique d’une part et le réel vécu de l’autre part. Ils représentent le maillon liant l’absolu et le relatif, le théorique et le pratique. Raison pour laquelle, le processus d’émission d’une fatwa nécessite une connaissance qui va à l’au-delà de la jurisprudence islamique. Donc, il est du devoir de tous les muftis d’avoir une bonne connaissance du monde où ils vivent et des problèmes qu’affrontent leurs sociétés.
Dans notre époque actuelle, pensez-vous que cette rencontre ou bien ce dialogue interreligieux et interculturel s’avère utile ? Et pourquoi ?
Personne ne nie que nous vivions en voisinage dans un monde sans frontières grâce à la technologie moderne dans les moyens de communication et de transport. Ce progrès, à son tour,a donné lieu à une interaction humaine en matière de pensée à tel point de dire sans hésitation que nous vivons dans un petit village ou ce qu’on appelle le village international où les effets bénéfiques ou maléfiques d’un acte se font sentir partout. De là, il n’est plus possible de vivre isolé du monde. Nous sommescondamnés à vivre et coexister ensemble sur notre planète qui nous porte sur son dostel un navire pour lequel nous espérons constamment l’arrivée sain et sauf au rivage. A partir de là, la coexistence, le dialogue et la coopération sont devenus une nécessité religieuse, intellectuelle et humaine. Pourtant, le dialogue nécessite l’existence des partenaires de deux côtés ayant la volonté de dialoguer. Car le dialogue du sens unique n’existe pas. Nous avons ardemment besoin d’un dialogue effectif et réel à savoir celui qui reconnait les diversités des entités et des spécificités, qui respecte l’autre et ne cherche pas à l’intimider ou à provoquer l’animosité. C’est plutôt un dialogue basé sur le pluralisme religieux et la diversité culturelle qui ne vise pas à avoir le dessus sur l’autre ; mais à se comprendre l’un l’autre, à s’instruire l’un de l’autre conformément au dire d’Allah dans le Saint Coran : « O Hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. » (Coran, s. 49 v. 13).
Donc, il convient de rappeler que la participation à ce dialogue constructif représente l’une des priorités primordiales pour créer des espaces du respect et de la tolérance. Le Coran mentionne que la beauté de l’univers consiste dans le pluralisme religieux qui explique cette diversité humaine : « A chacun de vous Nous avons assigné une législation et un plan à suivre. Si Allah avait voulu, certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté. » (Coran, s. 5, v. 48.).
Ce qui nous importe le plus c’est de reconnaitre que le dialogue est un moyen efficace pour éviter de tomber dans la problématique du choc odieux des civilisations qui prédomine, semble-t-il, le discours médiatique dans certains Etats.
Nous devons comprendre que le dialogue n’est pas un but en soi mais plutôt un moyen de réalisation d’un nombre d’objectifs et de finalités qui doivent être traduits en programmes pratiques visant le bien-être de l’humanité toute entière. Ainsi, nous espérons partir de la conception du dialogue pour arriver à celle du partenariat.
En effet, il y a beaucoup de voies du dialogue qui peuvent nous faire parvenir à de nouveaux horizons pratiques, ce qui peut donner au dialogue intellectuel, et théorique un autre aspect pratique de nature à unir gens et institutions sur le même objectif qui n’est autre que le travail pour la sauvegarde de la dignité de l’homme, son développement et son progrès.
J’ai l’honneur de dire que l’honorable Azhar en Egypte a déjà réalisé de grands succès aussi bien en Egypte qu’ailleurs dans la direction des dialogues religieux effectifs qui ont pris en considération les critères scientifiques tout en gardant intacts les principes essentiels de la religion et en réalisant les intérêts nationaux, ce qui a eu pour effet bénéfique et concret la sauvegarde de l’unité nationale de l’Egypte et des intérêts internationaux. Enfin, il est temps d’étudier ensemble les défis énormes qu’affronte l’homme et d’y trouver des solutions décisives basées essentiellement sur les valeurs existant dans toutes les religions.
Parmi ces défis, on peut compter les suivants :
- Le courant ravageur de l’athéisme qui menace les adeptes de toutes les religions sans distinction.
- Les fléaux causés par les maladies, la pauvreté, le chômage et l’analphabétisme.
- La difficulté de familiariser les gens au nouvel ordre selon lequel nous devons vivre en voisinage et en bonne connaissance de l’un de l’autre. Problème dont la solution réside dans la recherche des points communs qui nous unissent et nous aident à élaborer les plans de coopération et à travailler constamment pour arriver à la paix juste et durable.
Devant nous, certes, un long chemin à parcourir et un vaste domaine de coopération et de dialogue.
Dans notre monde contemporain règnent, semble-t-il, le pessimisme et la soumission : quelles en sont les causes et le remède ?
Il ne convient pas que le mot «pessimisme» soit infiltré dans l’esprit humain. En effet, l’Islam et même toutes les religions rejettent le pessimisme. Les enseignements islamiques, par exemple, invitent à l’espérance et à l’optimisme quelques soient les défis et les entraves. D’ailleurs, maints commandements religieux mettent en garde contre le pessimisme et le désespoir d’être comblé de la miséricorde divine et appellent à l’espoir, à l’optimisme, à la modération et à la facilité tout en prévenant contre le découragement et l’attitude intransigeante qui rend pénible la vie des gens.
De sa part, le Coran affirme que la vie d’ici-bas est pleine d’épreuves, de difficultés et des défis : « ô homme ! Tu passes ta vie en lutte sans relâche jusqu’à ce que tu rencontres ton Seigneur. » (Coran, v. 84. V. 6)
Les problèmes chroniques auxquels font face les humains ont,décidément, pour cause principale la manque de valeurs religieuses et morales surtout dans les domaines de la politique, de l’économie et de la justice sociale.
En effet, le Coran nous indique certains éléments qui sont de nature à nous aider à faire face à ces défis dont :
- Ranimer les valeurs religieuses et morales face au courant ravageur de l’athéisme.
- Enraciner la conception de la confiance en Dieu de sorte qu’on doit savoir que rien ne se passe dans ce monde indépendamment de la volonté divine et que l’homme doit respecter l’enchaînement des causes à effets et remettre son sort à Dieu. A cet égard, Allah dit : « Dieu suffira à quiconque s’en remet à Lui. »(Coran, s. 65, v. 3)
- S’habituer à la patience et observer assidûment la prière. Allah dit : « Cherchez du réconfort dans la patience et la salât. » (Coran, s. 2, v.45)
- Etre constant à faire le bien malgré les grandes difficultés. A ce propos, le Prophète dit : « Si la fin du monde arrive et dans la main de l’un d’entre vous une tige de palmier qu’il arrive à planter, qu'il le fasse alors sans tarder." (Hadith prophétique)
Il est à noter que le mot «capitulation» mentionné dans la question sous-entend tantôt un sens positif tantôt un sens négatif. Quant au côté positif, il consiste à se soumettre à la volonté divine et à se conformer aux valeurs religieuses et morales, ce qui constitue un acte louable. Quant au côté négatif, il reflète l’incapacité de faire face aux épreuves de la vie d’ici-bas, le pessimisme et le désespoir d’être comblé de la miséricorde divine.
Notre temps est plein de défis et de risques. Pourtant, il déborde des possibilités potentielles. Nous implorons Dieu de nous accorder Son aide afin de poursuivre les efforts pour le bien-être de l’humanité, un monde meilleur paisible et sans dangers.
Vu les conditions politique, sociale et démographique de votre pays, peut-on avoir l’audace d’espérer ?
En Egypte, nous sommes au seuil d’une nouvelle étape où règnent l’espoir, l’optimisme et l’espérance. Cette étape prometteuse est basée sur un programme de réforme globale qui vise, en premier lieu, la réforme politique et constitutionnelle du pays. A ce propos, il convient de rappeler que cette étape n’est qu’un simple début et que l’Egypte a vraiment besoin de beaucoupd’efforts sincères déployés dans tous les domaines. Et pour réaliser cette fin, il faut avoir de bonne volonté et de sincérité de la part de tous les Egyptiens. Il faut également sauvegarder notre unité nationaleet notre solidarité et œuvrer pour un avenir meilleur pour nos enfants et les générations à venir.
Notre religion musulmane monothéiste nous apprend qu’il ne faut absolument pas vivre captif du passé et qu’il faut,avec enthousiasme et espoir, s’acheminer vers un avenir meilleur.
L’Egypte - grâce à Dieu – se distingue par sa capacité de réaliser l’unité nationale entre tous les Egyptiens musulmans et chrétiens. Je suis vivement optimiste et plein d’espoir que l’Egypte reste toujours un modèle idéal de la coexistence.
L’Egypte, si Dieu le veut, traversera cette étape transitoire tout comme elle avait déjà traversé d’autres. Ses réalisations tout au long de son histoire témoignent de sa grandeur. Cette nation, riche en culture, est faite par l’effort de ses hommes sincères qui ont tout fait pour élever haut sa gloire. Alors, il est de l’intérêt de toutes les parties concernées de la société internationale de faire de leur mieux pourgarantir la stabilité et le progrès de l’Egypte.
En effet, mon optimisme augmente davantage lorsque je prends conscience de la présence de l’Azhar sur le sol égyptien, ce flambeau scientifique glorieux qui attire, depuis plus de dix siècles, une multitude de foule musulmane de tous les coins du monde en quête du savoir.Lorsqu’on évoque l’Egypte dans n’importe où, on pense en même temps à l’Azhar. De même, tout le monde sait que l’avis religieux émis par un savant azharite est digne d’estime et de considération par vénération pour cet édifice grandiose distingué par le juste-milieu et la modération dans la pensée et la culture.
L’Azhar protège toujours les valeurs de la nation égyptienne au sein desquelles tous les Egyptiens, dans la diversité de leurs appartenances et tendances, retrouvent leur salut. L’Azhar partait, et part encore, des principes nationaux et patriotiques loin de toute politique changeable.
L’ensemble des Egyptiens, grâce à Dieu, comprennent bien la nature du rôle historique de l’Azhar en tant qu’autorité référentielle ou plutôt un refuge auquel s’abritent tous les Egyptiens surtout aux moments de crise. Ainsi, l’Azhar représente, aux yeux des Egyptiens, l’une des garanties principales de leur unité tout au long de l’histoire. A la tête de cet édifice se trouve le grand imam professeur Docteur Ahmad at-Tayyeb qui joue un rôle patriotique distingué dans la défense des intérêts supérieurs de la religion et de la patrie. Ce rôle est bien apprécié par toute la société aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.
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